Mes songes erratiques se dissipent peu à peu tandis que mon esprit reprend lentement contact avec la réalité. Bien que nauséeux et encore déconcerté la conscience de mon état se fait plus claire chaque instant. J’ouvre les yeux, tout n’est qu’obscurité totale et impénétrable. Je cille, je me concentre, en vain, serais-je aveugle ??? Une étrange sensation d’étouffement m’envahit soudainement, pourtant je ne suis pas claustrophobe. J’essaye de me mouvoir et réalise avec horreur que je peux à peine remuer les jambes et mes bras le long du corps parviennent tout juste à se porter de quelques centimètres à la verticale. Mes doigts rencontrent une surface dure que le seul toucher ne me permet pas d’identifier immédiatement. Je ferme les yeux, plus par réflexe que par nécessité et me concentre pour comprendre ce qui m’arrive. Où suis-je ? Pourquoi ai-je temps de mal à respirer ? Je pousse sur mes jambes et mes pieds rencontrent une résistance. Je me tortille tel le vers que le pêcheur s’emploie à mettre sur un hameçon. Je comprends finalement que je suis cloitré car je ressens mon corps, mes membres, je ne suis pas paralysé mais seulement dans un espace trop confiné… Mais où ? Un bruit de raclement, le son étouffé de pas lourds, j’ai l’impression d’entendre des voix mais tout est si confus dans mon esprit que je crains de délirer. J’essaye de me détacher de ces considérations immédiates pour trouver le souvenir qui m’aiderait à comprendre ce qui m’arrive. Je sais qui je suis, cela ne fait aucun doute, je sais que je suis en vie puisque je respire, je sens mon cœur qui bat à tout rompre à cause de l’adrénaline qui inonde mon corps en réaction à cette menace indéfinissable et pourtant oppressante. Je me rappelle m’être endormi la veille (était-ce la veille ?) sous la toile rapiécée de ma tente de fortune. Je me souviens que je m’étais installé dans un hameau fortifié avec d’autres réfugiés. Mais alors, si je m’éveille, pourquoi ne puis-je voir la lumière du jour, ni même celle des étoiles ? Nouveau bruit de raclement suivi d’un crissement métallique qui me hérisse le poil et me fait serrer les dents aussi sûrement qu’une craie trop appuyée sur un tableau noir. Une odeur que je ne percevais pas jusqu’alors agresse subitement mon sens olfactif. Une odeur immonde qui ne m’est pas inconnue. Une image se forme dans mon esprit, celle de ce rat que j’ai un jour grillé à la flamme d’un feu pour ensuite le dévorer. Une connexion involontaire se fait alors dans mon cerveau tandis que je perçois une étrange chaleur, je sens des gouttes perler sur mon front et pas seulement… NON !!!! Mon instinct, ma mémoire, peu importe, je sais désormais où je suis, la monstrueuse vérité s’impose à moi avec la violence d’un direct en plein visage. J’entends à nouveau des voix, je ne comprends pas les mots, mais le doute n’est plus possible il y a des gens quelque part autour de moi. Je voudrais crier, les appeler mais aucun son ne sort de ma gorge. La chaleur se fait plus intense… Mon esprit hurle « Je ne suis pas mort », mais mon corps semble avoir accepté l’idée car je reste muet et immobile Tout deviens limpide à présent, la vie, que dis-je, la survie est à ce point difficile dans ce monde hostile et immoral que l’anthropophagie n’est plus un tabou, ou si peu. Je me souviens comment la faim peut vous tenailler et vous rendre fou au point de vous faire dépasser jusqu'à vos plus extrèmes inhibitions morales ou sociales. Mes compagnons d’infortune, ceux là même avec qui je luttais hier, ils ont du penser que leur propre vie passait avant la mienne. Moi qui ais toujours refusé de finir dans l’estomac des abominations avides de tripailles et de sang, moi qui ais toujours soutenu mes semblables, moi qui ais passé tant de temps dans ce désert infernal et qui en est toujours revenu vivant. Je périrai, trahi par mes pairs ? Qu’ils me chassent, me bannissent, qu’il me prive d’eau… Mais bon sang, pas le CREMATORIUM !!!!!!!!!! La chaleur est devenue quasi insupportable, les cloques apparaissent sur ma peau, la fumée suinte littéralement à travers chaque minuscule interstice du cercueil, car c’est évidemment dans cette boite en pin que je me trouve. Je devine qu’il est maintenant trop tard mais je ne peux simplement me résigner et accepter l’indicible. Je hurle, et cette fois pour de bon, un cri qui m’arrache une souffrance que même la morphine ne saurait supprimer car c’est plus que mes poumons et ma gorge brûlés par la chaleur et la fumée acre ne peuvent en supporter "Je ne suis pas moooooorrrrrrrrrt !!!!!!!!!!!!!!!" Et dans cet ultime appel angoissé je me redresse en nage, les yeux écarquillés, le souffle court, le palpitant flirtant avec la fibrillation, choqué… assis sur mon matelas moisi le regard fixé sur l’ouverture de ma tente qui laisse filtrer la lumière violente de l’astre de jour. Tout cela n’était qu’un rêve, juste un cauchemar… ou bien … |