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Récit : « Le messager »

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Chapitre 1 : Partie 1
Partie 1.0 : la Naissance



Mourir seul n’est pas franchement si amusant.

Mourir, qu’importe comment, ne l’est jamais particulièrement, d’ailleurs. Mais lorsque c’est la Solitude qui ronge la chair, qui exhorte l’esprit à la Fin, qui devient seule amie, cela donne au supplice un parfum tout autre - comme si notre couronne d’épines n’était pas suffisamment garnie - particulièrement désagréable, et indéniablement durant. On se sent si abandonné, vieux, perdu, et mort que...
À quoi bon vous expliquer ? Tous les décès finissent sur un même bilan, que l’on ait vécu en bon, que l’on ait vécu en mauvais. Riches et pauvres, blancs et noirs, jeunes et vieux, nous sommes tous jugés coupables. Vivez en martyre, Vivez en traître, la sentence sera toujours la même ; la mort.


Dans mon cas, c’est la désinvolte morsure du froid qui eut raison de mon corps. Elle fut plus acharnée que leurs dents, plus lente que la corde, et bien moins douce que le cyanure, si vous voulez savoir.
Enfin, je parle de mort, mais je n’en suis pas encore là. Le gèle m’a pourtant annoncé que je ne m’en trouvais pourtant pas bien loin quand il emporta Là-Bas mon troisième doigt de pied, désormais noirci à jamais, sans autre senteur que celle du triste cadavérique. Qu’importe ?

Je me décidais de sortir hors de la caverne où j’avais élu domicile pour la nuit. Ce n’était pas l'hôtel, mais je trouvais le coin plutôt joli. Des racines poussaient ici et là contre les murs rocheux et humides, un petit feu maintenant éteint et censé me réchauffer trônait au milieu du sol. Mon sac et les ressources de la journée plus au fond, étalés. Et à l’entrée, une lourde toile de peau qui ne m’avait pas abrité de la bise, comme elle le devait en couvrant de son épaisseur la sortie béante.
Si je dois partir sur la Route, autant avoir quelques airs de héros ! Le Grand Voyage ne demande que ça ! J’écartais le voile de cuir et posai pied à terre en cet extérieur gargantuesque. Ma fierté ne pouvait être épollée, face à ce paysage dévasté, champ de ruine essoufflé. N’était-il pas splendide, ce dernier départ ? Triomphe.

Le vent souffla de plus belle dans mes cheveux. Froid. Mes pas soulevèrent encore des milliards de grains de sables. Si froid. J’aurais dû m’y attendre. La nuit, le désert est froid. Trop froid.

Je laissais tomber au sol mes deux genoux au bout de quelques minutes de pugilat. Le vent glaçant battait mon visage, encore, de toute sa puissance céleste. Il étouffait mon ouïe, comme ce long cri de désespoir qui se refusait d’exploser hors de moi, comme ces feux d’artifice qui fusent dans le ciel à toute vitesse et créent ce déluge de braises puis couvrent la silhouette brisée de la lune. Peut-être était-ce mieux ainsi.

Personne n’acclamait le martyre que j’étais. Je jouais à la fois le héros et le spectateur de cette pièce montée. Un navet, ce jeu de scène, je me l’avouais tristement. C’était la fin.

Je regardais les hautes plaines ventées, sèches et arides qui appartenaient au lointain Horizon, et soudain aperçus une lumière blanchâtre. Sauvé ? Des veilleurs sûrement ! Du bruit. Et dire que j’y croyais encore...






Partie 1.1 : Les rails


Du vent. De lourdes bourrasques. Toujours plus fortes. Violence. Haine. Qu’avais-je fais pour ces maux ? Les veilleurs allaient m’éviter la mort. Ah mais ce souffle sec m’en faisait pâlir ! Il... Il tirait même le sable de sous mes chaussures trouées. Plus fort, toujours. Et cette lumière, elle se rapprochait.
Ne meurs pas ! Tiens encore quelques instants !

Je regardais mes pieds pour éviter à mon visage de subir les violentes buffes de la bise qui s’accentuaient de seconde en seconde.

Quelque chose se dessinait sous l’abondant sablon blanc. Oui, je les voyais partiellement maintenant, fines, longues. Elles s’étalaient sur plusieurs mètres en ce moment, métalliques. Je n’en croyais pas mes yeux. Comment cela avait-il pu arriver ici ? Comment ?

Je levais les yeux. De la lumière, tant de lumière. Je baignais dedans. L’habit lumineux éclairait mon sentier. Ce que j’avais vu avant s’était si vite rapproché. Il devait être à cinq petits mètres. Je baissais une nouvelle fois les yeux sur les deux barres de fer parallèles qui s’étaient rencontrées sous mes pieds, cette fois-ci, pour ne pas être aveuglé. Si forte.

Etait-ce ce long chemin qui guide l’homme vers la Fin, ce tunnel de lumière que nous nous devons d’emprunter, une fĂŞte d’obit macabre - tristesse - ou encore une dernière luctueuse peine que le Monde m’infligeait ? Non.

Le bruit du vent était maintenant masqué sous celui des turbines cylindriques et leur bruit de claquement répété. Une longue sonnerie s’éleva. Un homme descendit de la lumière, et fit claquer son long manteau noir dans le vent toujours aussi glaçant - cinéma muet couvert de bruits. Il me cria quelque chose sur un ton cinglant. Je ne compris pas. Se répéta. Toujours rien. Le bruit de la machine poussait encore aussi raide sa folle gaieté. Je tendis l’oreille, et entendis.

(citation)
On embarque !...



Les paroles se perdirent dans la nuit, emportées à jamais par le vent.

Je regardais une dernière fois les rails qui patientaient sous mes pieds, puis me dirigeai vers lui. La lumière était celle du Train. La vieille locomotive gronda mon attente d’une toux plus fort encore. J’entrai par la porte passager à travers laquelle il m’invitait à le rejoindre.

Des regrets ? Non.




Partie 1.2 : Le Train

(citation)
Euh... Je vous avoue ne pas avoir tout compris... Qu’est-ce que je fais là... ? Depuis quand la gare ferroviaire est-elle en état de marche ?


(citation)
Elle ne l’est pas.


(citation)
... ?


(citation)
Où croyez-vous que ce Train vous mène ?


Un léger sourire s’était alors dessiné derrière sa barbe, et la moelleuse banquette de cuir sur laquelle je m’étais installé me semblait de plus en plus inconfortable.

Le train n’était pas vide. Nous devions nous situer à l'extrémité la plus proche de la locomotive elle-même, lors de cette discussion. La première classe, sûrement. Le long couloir était bordé de plusieurs rangées de sièges, certaines décharnées, d’autres en parfait état, perpendiculaires et parallèles au couloir, selon leurs situations. Des valises abandonnées étaient empilées, ici et là. Des vêtements. Le son des turbines était doux, désormais, comme si tout était revenu au calme banal, comme si la terre avait repris sa course d’il y a trente ans auparavant. L’embarcation se penchait de gauche à droite à rythme variable, entrainant avec elle mon corps secoué. Le mélange d’excitation, peur, et confort pouvait-il tuer ? L’odeur de la poussière - comme les senteurs qui s’échappent d’un vieux roman du XIX - s’élevait du wagon, alors que celle de la vieille dame qui s’était assise, jambes serrées, son chapeau noir masquant son visage, était comme inexistante. Elle paraissait triste. Etait-elle veuve pour être tout de noir habillée ?

L’homme qui m’avait ordonné de le suivre répéta sa question. Son visage se plissa sous les mots. La quarantaine, les cheveux frisés, bruns, et la barbe tombant de sept bons centimètres. Il avait retiré son chapeau couleur marron foncé, qu’il avait méticuleusement posé sur un siège, en évitant que ses bords ne se replient vers l’intérieur. Il agita à nouveau son manteau de haut en bas à l’aide de ses grosses mains abîmées pour le laver des grains de sable qui s’étaient logés dans quelques plis.

(citation)
Je ne sais pas... OĂą va-t-on ?


(citation)
Toi, tu vas voir Le Patron. Moi, je continue Ă  le chercher.


(citation)
Voir Le Patron ?


(citation)
Oui, Le Patron...

Je ne comprenais pas.

[Silence]

(citation)
Est-ce que je suis mort ?


(citation)
Presque...



C’était donc bel et bien Le Patron que j’allais voir...

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