Abraham Lewinsky huma l'air frais de la nuit. Une petite odeur d'essence planait toujours dans l'air, mais cela ne l'étonnait plus, travaillant dans une station service. La Texaco Company. Cela faisait combien de temps qu'il travaillait pour cette boîte. Depuis toujours, il en avait bien l'impression. Son père et son grand-père avant lui avaient été eux-mêmes employés par la firme dès leur plus jeune âge. Que faire d'autre au Texas, l'état du pétrole ? Et puis il ne connaissait que ça. Abraham se retourna tout en s'étirant, déridant son corps meurtri par des heures d'inaction. Il gérait cette station depuis 1972. Près de 15 années à guetter le client la nuit. Inutilement. Personne ne passait par là . Jamais. Oh ça ne se bousculait peut-être pas au portillon mais Abraham aimait ça. Au moins il pouvait faire ce qu'il voulait. Tranquillement. Sa passion à Abraham, c'était la poésie. Il profitait des longues heures de la nuit pour s'adonner à ce plaisir. Écrire des proses et s'envoler de vers en vers. Une passion dévorante qui l'occupait des heures durant. De fil en aiguille, il avait produit une centaine de poèmes. De véritables reflets de son âme, petits bijoux d'intimité qu'il jugeait bon. Il n'avait pas osé les faire lire à sa femme Camilla. Elle n'aurait pas compris. Et cela ne l'aurait pas retenue. Camilla était partie, ça faisait déjà trois ans. Elle l'avait abandonnée, déçue de sa vie avec un simple pompiste. De sa vie fade sans enfants, sans joie, sans avenir. Après vingt années de vie commune insipide, elle avait fui, laissant leur petite maison vide. Abraham avait ressenti cela comme une perte, puis avec le temps, ce fut la renaissance. Fini les récriminations, les disputes et les plaintes. Il avait la possibilité de refaire sa vie, d'en profiter. Et à presque 50 ans, il n'allait pas hésiter. A partir de ce jour, Abraham produisit ses meilleurs poèmes. Selon lui. On n'est jamais aussi bien inspiré que dans les moments les plus déchirants de la vie. Et il lui vint l'envie de se faire éditer, de se faire connaître. De diffuser au plus grand nombre les facettes de son âme couchées sur papier. Ses poésies seraient appréciées, il en était sûr. Abraham s'étira à nouveau. Les vieux os craquèrent quand il leva les bras au-dessus de sa tête. Il esquissa un sourire. Il adorait ça. Encore quelque chose que Camilla détestait. Un bruit attira son attention. Un petit crissement qui provenait de l'autre côté de la route. Abraham plissa les yeux et chercha à distinguer ce qui était à l'origine du bruit. Mais il ne vit rien. La Lune n'éclairait en rien la nuit noire et face à la station, il n'y avait rien, à part la route et le désert. C'était d'ailleurs pour son isolement qu'Abraham aimait cet endroit. En fait, ce n'était plus si désert que ça depuis quelques temps. Des camions de l'armée avaient surgi un matin, en masse. Ils ne s'étaient pas arrêtés et avaient filé sans se préoccuper d'Abraham qui les avait regardés passer. Il n'avait jamais su où ils allaient, il n'y avait pas de base connu dans le coin. Et le pompiste n'avait pas entendu parler de quoi que ce soit nécessitant la présence de la garde nationale dans les environs. En même temps, il ne s'était pas étonné un seul instant de ne rien savoir. Il avait toujours soupçonné que l'armée agissait dans l'ombre. La théorie du complot, Abraham connaissait. D'ailleurs, depuis l'assassinat de Kennedy... Le crissement recommença, interrompant les pensées d'Abraham. "Y' a quelqu'un ?" Seul le silence lui répondit. Un silence presque inhabituel, surnaturel. Il n'y avait hululement, aucun chant d'insectes nocturnes. Non, il n'y avait rien. Qu'un silence pesant. Abraham leva la tête. Il aurait juré... Oui, il y avait quelqu'un de l'autre côté de la route. Un homme couché, il le jurerait. " Eh vous ! Vous allez bien ?" La silhouette qu'il avait cru distinguer bougea, releva ce qui semblait être sa tête. Abraham sentit un regard le fixer. Mais personne ne lui répondit. Un gémissement soudain. Et une main tendue dans les ténèbres. "Mince, jura Abraham entre les dents, y'a un blessé là !" Et sans prendre la peine de réfléchir, Abraham se mit à courir et traversa la route, éclairé seulement par les réverbères de la station-service. Il ne voyait pas grand chose mais il ne pouvait pas rester comme ça sans rien faire. Ce n'était pas son genre, il n'avait pas été élevé comme ça. Lui qui était si fier de ses racines eut une pensée pour son père qui avait un jour sauvé une femme lors d'un accident de la route. Celle qui allait devenir sa femme un jour, et donc la propre mère d'Abraham. Devant lui à quelques pas, il aperçut quelqu'un d'allongée, dont les râles résonnaient dans la nuit comme des crissements insupportables. Abraham ressentait cela comme s'il mâchait du sable entre les dents. La silhouette était salement amochée et tendait un unique bras à l'avant, comme si elle voulait qu'Abraham s'en saisisse. " Ne bougez pas, je suis là . Je vais vous aider... La silhouette leva la tête et Abraham s'attendait à voir dans son regard l'espoir d'être sauvé. Abraham allait tout faire pour lui sauver la vie. D'abord le ramener à la station, puis appeler une ambulance. Ou peut-être un docteur, ce serait plus rapide... Abraham se pencha pour attraper la silhouette blessée, mais à cet instant, il se mit à le regretter aussitôt. Ses pensées disparurent quand il aperçut l'innommable. Son hurlement déchira la nuit obscure. La plainte monta dans les aigus jusqu'à n'être plus qu'un simple filet et disparaître dans les ténèbres. *** Le regard d'Hamilton se perdait dans le vague. Il avait cru mourir quelques dizaines de minutes plus tôt. La crise l'avait frappé subitement, il ne s'y attendait pas du tout. Ni du violent coup de poing que la femme lui avait asséné. Son nez lui faisait vraiment mal et il se mit à prier qu'il ne fut pas cassé. Hamilton avait l'impression qu'il avait doublé de volume. Il respirait âprement avec la bouche et serrait dans sa main l'inhalateur qui lui avait sauvé la vie. Comme pour se rassurer. Il ressentait encore la saveur du sang au fond de sa gorge. Quand il était tombé au sol suite au coup de poing, une vague de liquide chaud avait coulé dans sa bouche. Le goût métallique du sang, c'était ce qui l'avait fait paniquer. Plus que la situation elle-même. Hamilton n'avait jamais vraiment subi d'agression au cours de sa vie, si courte soit elle. Miraculeusement, il avait toujours évité les situations scabreuses et violentes souvent subies à l'école. Il y avait échappé... jusqu'à aujourd'hui. Des étoiles dansaient encore devant ses yeux et il avait bien du mal à réaliser ce qu'il se passait. Mais ce qu'il savait c'était qu'on était en train de lui piquer sa voiture. Fanny serrait le volant, plus de crispation et de colère que de peur. Si le type, Brad, n'avait pas cette arme, elle n'hésiterait pas une seconde pour lui dire ce qu'elle pensait de lui. Comment gâcher une bonne soirée en se faisant piéger par deux loosers !! Elle, la reine du bal, la Cheerleader était là à obéir à un mec qui puait le bouc et à une nana qui avait autant de féminité qu'une athlète soviétique. Et Billy qui l'avait lâché !! Jamais il ne la retrouverait maintenant et tant mieux pour lui. Le jour où Fanny allait le revoir, elle allait lui faire avaler ses dents de devant. En attendant, la situation était, disons, problématique et elle se demandait bien comment elle allait se sortir de là . *** Qu'est-ce qu'ils allaient faire de ces deux gosses ? Il n'allait pas les buter eux aussi non ? Ces questions tiraillaient Kat et la laissaient en proie au doute. Brad n'était pas un tueur, du moins pas à sa connaissance. Mais il n'avait hésité de tirer de sang-froid sur le convoyeur quelques heures plus tôt. Et s'il décidait de les tuer, qu'est-ce qu'elle ferait ? Kat observait son acolyte assis juste devant elle dans la voiture. Il matait, au sens propre du mot, la jeune femme qui était au volant. Il la dévorait des yeux même. Kat n'était pas jalouse, loin de là . Brad était bien loin du sex-symbol, l'opposé même. Un visage taillé à coups de serpe, avec une barbe qui poussait irrégulièrement, par touffe. Et cette odeur. Brad ignorait qu'il existait des déodorants. mais Kat n'était pas vraiment sûr qu'il en existât masquant sa nauséabonde odeur. Alors pourquoi Kat l'avait-elle suivi dans ce mauvais délire ? Tout ça pour même pas dix mille dollars.Une misère. Et plus le temps passait, plus Kat sentait la situation lui échapper. Tout ça allait mal finir, elle en était sûre. Devant elle, Brad se redressa en maugréant. Il plaqua sa main droite tout contre son bas ventre. Il frottait avec insistance le pansement de fortune qu'il s'était mis. Et puis la jeune femme au volant réveillait en lui des sentiments jusque là réprimés, enfouies sous des couches de valeurs morales. Elle lui plaisait et il en ferait avec joie son déjeuner. Au sens propre du mot. Un bruit soudain le fit sortir de sa torpeur malsaine. Quelque chose à l'extérieur. Un bruit sourd et pesant. Et une lumière plongeant du ciel. Sans laisser le temps à la conductrice de réagir, Brad se jeta sur le volant et le tira à lui. La voiture fit une soudaine embardée en s'enfonça dans le bois, par un petit chemin de terre. La Toyota fut secouée dans tous les sens avant de stopper brutalement. Un réflexe de Fanny sur la pédale de frein. Kat rageait. "Mais qu'est ce que tu fous Brad !!?? L'homme se retourna, les yeux révulsés d'appréhension. - T'as pas vu ? C'était un hélico. Les flics sont à notre recherche ! Toi, éteins les phares (puis devant l'hésitation de la jeune femme) Éteins les phares, j't'dis !! Tu vas m'obéir oui ?!! Fanny exécuta l'ordre d'une main tremblotante. Elle avait voulu perdre du temps, ou plutôt en gagner. Mais elle avait vu dans le regard de son ravisseur une petite lumière palpiter. La folie couvait dans cet esprit fiévreux. Kat se tourna et chercha dans les ténébreux la silhouette de l'hélicoptère. Elle l'entendait encore mais le faisceau lumineux semblait s'éloigner. Il cherchait quelque chose, eux sans nul doute. Ils devaient disparaître au plus vite de la zone. - Il faudrait récupérer l'interstate et filer au sud, s'écria Kat, puis en se tournant vers le jeune homme qui ne disait rien à côté d'elle : Y'a une carte de la région dans ta voiture ? Eh petit je te parle...! Hamilton se tourna lentement vers celle qui venait de parler, celle-là même qui l'avait frappé quelques temps auparavant. Elle faisait moins la fière maintenant. Elle avait besoin de lui. Hamilton exultait et voyait dans la situation un semblant de vengeance. Il esquissa un rictus et déclara d'une voix morne qu'il voulait prétentieuse. - Non, je n'ai pas de carte, j'ai rien d'intéressant ici. Et ma voiture elle n'ira pas bien loin à ce rythme. Le jeune homme fit un geste du menton en direction du tableau de bord. - Quoi ? Qu'est ce qui y'a, s'écria Brad en se retournant vers Hamilton. Si tu nous caches quelque chose, c'est ta copine qui va l'payer !! - Parle petit, ajouta Kat. On veut juste se barrer de là et après... (elle fixa Brad et le bourra du regard) ... et après, on vous laisse tranquille. Hamilton sourit. Son rictus s'élargit faisant enrager ses interlocuteurs. Mais la femme, Kat, malgré ses gros muscles et son air d'hell angel's, réprimait la colère qui montait en elle. Ce qui n'était pas le cas de son acolyte. - J'vais m'le faire lui !! Dis moi ce qu'il se passe ? Ou j'éclate la tronche de ta copine. Joignant les actes à la parole, il pointa son arme sur la tête de Fanny. Cette dernière gémit en sentant le métal froid sur sa nuque. - Hamilton... Kat ne reconnaissait pas son vieil ami. Il était de plus en plus stressé et envahi par la rage. Ce n'était pas son style, enfin pas aussi amplifié. - Calme-toi Brad... - Je retournerai pas en prison !! Qu'il parle ou je repeins la caisse avec sa cervelle. A ces mots, il arma le revolver. Le clic résonna dans toute la voiture. Hamilton eut un petit rire mais la situation ne l'amusait pas du tout. Au contraire. Il pensait qu'il pouvait la contrôler et en fait c'était faux. Le Brad semblait être incontrôlable et exploser à tout moment. Tout ça ne valait pas le coup. - Pourquoi tu ris ? Il va le faire tu sais ? - Oui, je sais, répondit Hamilton. C'est que ... c'est que ... On n'a pas assez d'essence pour aller bien loin. C'est ça d'être jeune, on n'a pas d'argent pour faire le plein. J'avais pas prévu aller si loin ce soir. Juste dans un petit coin tranquille pour passer un agréable moment avec... elle. Là , je ne peux pas vous aider. Fanny qui avait toujours le canon pointé sur son front, réprima un haut-le-cœur. Hamilton comptait coucher avec elle. Beurk. - T'inquiète pas petit, répondit Brad, dont l'humeur changeait à vitesse grand V, on va te laisser avec ta copine dans un coin tranquille. Si tu nous laisses ta caisse et sur la bonne route, tu pourras t'dégorger le poireau avant la fin de la nuit. Fanny soupira avant de fermer les yeux. Dans quel guêpier s'était-elle fourré ? Hamilton poursuivit d'une voix monocorde : - Il y a une station pas très loin d'ici. Il devrait avoir assez d'essence pour y arriver. Vous nous laissez là et ce serait bien. - On fera ça oui, on fera ça..." La voix de Brad ne trompa personne. Cela n'allait pas se passer comme ça. Fanny enclencha la marche arrière et retourna sur la route. Suivant les indications d'Hamilton, elle engagea la Toyota en direction de l'unique station service du coin. *** Une sonnette résonna dans la nuit noire. Les réverbères qui entouraient la station service du groupe Texaco. C'était comme un phare en milieu de cet océan désertique. Un vaste espace obscur d'où émergeait un paysage plat, faiblement couvert de végétation. Une mer de hautes herbes cernait la station service. Elle était perdue, au bord de cette route déserte. Un îlot de civilisation dans cet endroit désolé. Les réverbères éclairaient d'une lumière blanche, pâle des bâtiments de la station sans réel unité. Les couleurs, les matériaux, les formes, différaient. Un assemblage chaotique de bâtiments organisés autour de deux pompes à essence centrales protégés par un auvent de métal. Soutenus par des poteaux de bois, un entremêlement de fils et de petits fanions relient les bâtiments aux pompes. Le nom de Texaco illuminait d'une clarté rougeâtre le haut du bâtiment central. Le E clignotait irrégulièrement signalant la faiblesse de l'ampoule le composant. La vieille Toyota s’arrêta devant la station-service déserte. Le temps de jeter un coup d'oeil discret dans le bâtiment, avant de se garer devant les pompes. Ils avaient atterri ici dans l’espoir de refaire le plein, l’aiguille du réservoir flirtant dangereusement avec le zéro absolu. Un panneau, planté de travers à l’entrée de la station, annonçait comme une promesse, « Ouvert. 24h/24 ». Pas un chat à l'extérieur. La sonnette avait résonné et personne n'apparut. Hésitation. Puis Kat ouvrit la portière puis sortit de la voiture les poings et la mâchoire serrés. De l'autre côté, Hamilton en fit de même. Il ouvrit le bouchon du réservoir et décrocha le pistolet. L’écran de la pompe s'alluma et un bourdonnement se mit à résonner. Un sac en plastique déchiré tourbillonnait entre les deux pompes avant de disparaître derrière la route. Un vrai spectacle de fin du monde. Kat restait là , prostrée à moitié dans la pénombre, adossé à la Toyota en rade d'essence. Elle resta là , immobile, cherchant la présence humaine. Quelque part. Dans la voiture, Brad était resté avec Fanny. Il avait caché son pistolet sous sa veste, posée elle-même sur sa cuisse. Il n'avait pas confiance dans la jeune femme. Il ne voulait pas qu'elle les abandonne là en plein désert. Brad avait remarqué qu'elle n'appréciait pas obligatoirement le propriétaire de la voiture. Pourquoi, ça il l'ignorait. Mais du coup, il devait encore plus se méfier d'elle. Sans compter qu'il aimait sa présence. Il prenait plaisir à la regarder, à sentir son parfum. La peau des bras nus de la jeune femme blonde était pour lui une véritable jouissance. Il imaginait le doux contact de sa chair sur sa langue... La peau de Fanny se couvrit de chair de poule. Elle se retourna vers l'homme dénommé Brad. Il la fixait avec un air étrange dans le regard. Comme un enfant devant une glace ou encore un chien affamé devant un os. Il humectait ses lèvres sans s'en rendre compte et se frottait lentement sa main blessé tout contre son entrejambe. Fanny frémit et détourna le regard. Elle voulut sortir. " Je veux sortir... Je peux aller... aux toilettes ? Brad sortit de sa torpeur et dégagea sa main de son entrejambe, surpris qu'elle soit là . Il se passa la main sur sa barbe mal rasée. - Uhm... Ouais. Je .. je vais te suivre. Je voudrais pas que tu fasses une bêtise." C'était toujours mieux que rien. Fanny put se diriger vers les toilettes suivi par Brad. C'était étrange qu'il n'y avait personne dans cette station-service. La sonnette aurait dû faire sortir quelqu'un. A moins que... Kat plaqua sa main sur son pistolet qu'elle avait placé dans son dos, dans la ceinture de son jean. Quelque chose n'allait pas ici. Il n'y avait aucune voiture, aucune trace de la police ou de quiconque ici. C'était trop curieux pour être normal. Hamilton reposa le pistolet. Il avait fait le plein comme lui avait ordonné la femme. Elle se tenait juste derrière lui, la main plaqué sur son arme. Elle semblait soucieuse. Hamilton se demandait pourquoi, mais il n'avait pas remarqué l'absence de vie ici. Il se retourna quand il entendit les portières se refermer bruyamment. "J'l'accompagne aux chiottes, déclara Brad. Hamilton, soudain inquiet, se tourna vers Kat qui le fixa à son tour. Elle le dépassait d'une tête et ses yeux se posèrent sur lui avec la même inquiétude. Hamilton en était certain. - Pas de bêtise hein, dit-elle d'une voix autoritaire. Tu sais que je ne tolère pas ça. - T'inquiète. Mais justement Kat s'inquiétait. - Vas payer, pendant ce temps, ordonna Brad. On ne doit pas se faire remarquer. Kat acquiesça. - T'as une carte de crédit sur toi ?, demanda-t-elle à Hamilton. Le jeune homme fit oui de la tête. Il se passa la main dans la nuque. Mais pas sûr qu'elle soit bien remplie, ironisa-t-il mentalement. Qu'allait-il se passer quand la carte serait refusée ? Comment allait-il pouvoir discrètement payer ? Hamilton espéra alors qu'on saurait toujours retrouver leur trace. *** Une clochette annonça l'ouverture puis la fermeture de la porte vitrée du magasin. Un cling cling léger, presque surprenant dans le silence troublant dans le drugstore. Une lumière blanche, celle de plusieurs néons éclairait la large pièce. Dans trois petits rayons d'étalage s'entassait un large choix de produits alimentaires de qualité inégale, des confiseries, des sandwiches sous cellophane, des plats cuisinés dans des boîtes transparentes et des paquets de biscuits. Au fond, dans des vitrines réfrigérées offraient un large panel de boissons sucrées et autres produits frais. En aucun cas d'alcool comme le stipulait les lois de l’État. Le Texas ne plaisantait avec l'alcool au volant. Kat s'approcha prudemment de ces vitrines, ne jetant pas même pas un regard sur les sandwiches sous cellophane, doutant surtout de la fraîcheur de ce qui reposait dans les rayons. Il n'y avait rien de bon dans les armoires réfrigérées. Tout nécessitait l'utilisation d'un four micro-onde, indisponible ici. Elle ouvrit une des portes et prit un pack de Pepsi. Ce serait toujours ça. Ensuite elle revint dans les rayons et fouilla un instant dans un des étalages. Son choix se porta sur plusieurs paquets de biscuits. Elle en ouvrit un à l'aide de ses dents et sans pouvoir attendre plus longtemps, elle avala un cookie au chocolat. Kat le savourait encore quand elle déposa les paquets et le pack de Pepsi sur le comptoir, aux côtés d'Hamilton. Le jeune homme patientait toujours, sa visa à la main, attendant de pouvoir régler sa note. Il se tenait sur la pointe des pieds pour observer un carnet déposé à l'envers sur le comptoir. Kat le vit faire et sans hésiter, elle s'empara du carnet et le retourna. " Y'a personne ici ? - On dirait, répondit Hamilton. En tout cas, il n'y a personne devant moi, là . - Joue pas au con avec moi, répondit la colossale femme. Je suis sympa mais il faut pas pousser le bouchon un peu trop loin ! - Qu'est ce que vous voulez que je vous dise ? Il y a personne... Il y a personne ! - Et tu trouves ça normal toi ? - Moi ce que j'en pense... Vous n'allez pas nous relâcher ici n'est-ce pas ? Kat ne répondit rien. Elle n'en savait rien véritablement. En fait, elle n'en avait pas parlé avec Brad, qui de toutes façons avait l'air d'être préoccupé par autre chose. Hamilton commença à pianoter sans réfléchir sur le comptoir. Sa carte faisait un tac-tac stressant qui irrita rapidement Kat au plus haut point. Elle posa sa puissante main sur celle d'Hamilton qui cessa aussitôt. Elle comprit alors que le jeune homme tremblait de peur. - Tant que vous êtes sérieux, toi et ta copine, y'a pas de raison que ça se passe mal. Hamilton releva les yeux et fixa Kat. Elle semblait sincère et visiblement tout aussi ennuyée que lui. - C'est quoi ça? , demanda-t-elle gênée. Elle avait détourné le regard et regardait désormais par delà , le comptoir, là où l'employé devait poser ses affaires personnels. Un mug, qui arborait l'insigne du groupe Texaco, reposait près d'un bloc-note ouvert. Kat fit le tour du comptoir. Le mug était rempli de café froid. Elle s'empara du carnet. De l'autre côté, Hamilton s'était mis sur la pointe des pieds pour observer attentivement le carnet. - On dirait...on dirait de la poésie, murmura le jeune homme. - Qu'est-ce que ça fout là ?, s'écria Kat interloquée. - Je ne .... Un cri retentit à l'extérieur. Un hurlement à glacer le sang. Puis deux coups de feu. |