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Récit : « Contrée du Carnaval d'hiver »

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Chapitre 33 : Des pensées triturées
Depuis qu’on m’a épargné la corde, je me tiens à carreau. Je reconnais ma chance d’être encore en vie, vu comment ils n'en ont laissée aucune aux deux autres. Si Deep n’était pas là, ils m’auraient sans doute banni, et même pendu, car ils ont dégoté plusieurs nouvelles chaînes.

Le matin suivant le tout premier jour, à mon réveil, j’ai constaté que mon livre d’Ermite ne se trouvait plus à mes côtés. J’ai cherché autour et sous ma couchette, j’ai même creusé le sable, au cas où, j’ai inspecté chaque recoins de la banque, de l’atelier, de la tour… le seul endroit épargné par mes fouilles a été le fond du puits ! J’ai vite compris l’évidence : Toutakou me l’a volé par pure et minable vengeance. J’ai tenté, par des propos subtils, de lui faire avouer son crime…

– Heu… Bonjour, vous n’auriez pas vu mon manuel d’Ermite par hasard ?

– Nan !

– D’accord, merci !

En un sens, même si ça me frustre parce que je ne bénéficierai jamais des trucs de camping et que je sais qu’il est coupable, ce n’est pas ce vol qui me préoccupe actuellement. Il se trame des choses bien plus inquiétantes en ville, au point où j’ai arrêté d’essayer de bavarder avec les autres ouvriers. C’est simple, je ferme mon mâche-patate et je croise les doigts pour ne pas devenir fou !

Premier élément qui me sidère : le Forum. Il est désert ! Mort ! C’est incroyable, personne ne parle, personne ne rit, pleure, pet ou gueule ! Je n’arrive pas à l’expliquer, on dirait que… qu’un voile d’apathie embrume tout le monde, une espèce de syndrome lié à un abandon prématuré du goût de vivre, j’en sais rien, comme s’ils survivaient pour survivre, sans aucune autre motivation !

J’exagère à peine, car le phénomène s’observe aussi dans l’attitude générale des gens. Après chaque attaque, une douzaine environ part en expédition et, cette fois, je me modère en affirmant que les trois quarts se comportent en véritables zombies ! Jamais l’un d’entre eux n’ouvre la bouche, on les croirait hypnotisés ! Pourtant, une exploration, ça se prépare ! Ils se réveillent tous à la même heure, se suivent à la queue leu leu, savent comment s’équiper et par où aller. Du nombre, deux ou trois seulement conservent une façon de marcher normale et une présence dans le regard, pas comme s’ils étaient contrôlés par un salopard de body snatcher.

Au réveil, nous, les pauvres bâtisseurs, consultons un ordre du jour rédigé à la main par Toutakou, toujours sur le même modèle, qui liste en détail les chantiers à faire, le nombre d’ouvriers qui doivent sortir fouiller à moins d’un kilomètre et combien d’entre nous pouvons grignoter une collation afin de bosser plus longtemps. Jamais ces plans ne sont contredits. En fait, une seule fois, un courageux – ou un fou, c’est du pareil au même – a osé remettre en question l’importance d’une construction en proposant de la remettre à plus tard et de devancer le programme du lendemain à la place. D’après ce que j’ai compris, ce téméraire est une nouvelle recrue et encore en phase de test… En bref, Toutakou l’a ridiculisé devant la foule attroupée et, depuis, le pauvre type n’ose plus prononcer un son.

On dirait que la même technique d’humiliation a été appliquée sur tout le monde, y compris moi, maintenant que j’y pense. C’est purement une dictature ! Un règne de terreur où on se tait, plié sous les menaces d’une réprimande acerbe ou du tintement sinistre des chaînes. Plusieurs ouvriers gardent le silence et se comportent tels des marionnettes, comme si quelqu’un d’autre tirait les ficelles dans leur crâne. Les autres évitent le Forum et chuchotent en privé, craignant sans doute les oreilles indiscrètes.

J’ai été choqué une nuit de distinguer la silhouette de Deep se faufilant entre les tentes du chef et des explorateurs principaux. Elle entrait quelques minutes, ressortait puis passait à l’autre, ainsi de suite. En observant mieux, j’ai remarqué que le même manège s’opérait chaque nuit, je me suis donc dissimulé dans ce secteur en espérant réfuter mes doutes… Mais non ! Les sons qui s’échappaient étaient tout à fait clairs, je n’en reviens toujours pas. Et elle déambulait comme une somnambule, enchaînant les parties de jambes en l’air, jamais à bout. Le plus bizarre, c’est qu’elle se plaint souvent d’un sommeil peu réparateur et de rêves étranges, mais n’évoque en aucun cas les débauches nocturnes, ce qui m’étonne, car son franc parlé lui permet d’ordinaire d’aborder tous les sujets sans gêne.

Voilà les réflexions ce qui me torturent en cette onzième soirée dans le Pâturage. Je suis épuisé, d’esprit et de corps. Depuis deux jours, on s’affère en esclave à l’élaboration d’une fausse ville à quelques kilomètres de la nôtre. À lui seul, le transport de tout le matériel est un travail de fou. Je trouve déprimant de monter des cabanes qui ne seront habitées par personne. L’avantage, au moins, c’est que bon nombre de morts-vivants iront là chercher leur bectance, on sera plus en paix.

J’essaye de penser à autre chose, j’essaye de positiver. Toutes les hordes sont repoussées à chaque nuit, on ne manque ni d’eau, ni de nourriture, les ressources sont abondantes, la banque déborde de médicaments, d’armes, de tout. Et même, on ne doit pas s’inquiéter, car Toutakou pense à notre place. Malgré tout cela, je n’arrive pas à me réjouir, un malaise, constamment, me prend aux trippes.

Je marche, tentant de remettre de l’ordre dans mes idées. Je me rends aux portes pour respirer, sentir le vent derrière les murailles. Cette nuit plus fraîche décuple mon sentiment de solitude. Personne à qui parler pour oublier les frissons… Je ferme les yeux, l’image de l’éclaireuse m’apparait. Comment vais-je tenir encore le double de jours, tout seul, dans cette atmosphère étouffante, sans m’aliéner ? Vais-je définitivement lâcher prise comme les autres et devenir une simple carcasse ?

Je jette un coup d’œil derrière, LaFin approche. Il semble avoir la tête ailleurs et sursaute en m’apercevant dans le noir.

– Woo ! C’est rare de voir du monde dans les parages à cette heure, tu faisais quoi ? Je viens fermer moi.

– Rien, je réfléchissais… je prenais un peu l’air.

– Haaa… ouais… t’as l’air d’un petit penseur toi. J’parie que t’as eu le temps de remarquer deux trois trucs depuis que t’es en ville.

Je ne réponds pas, me contentant de lever les sourcils.

– Ouais, et c’est pire que tu penses, soupire-t-il en rabattant les pans sur leurs gonds.

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