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Récit : « L'aphoticaire »

SommaireChapitre 1

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Chapitre 1 : La fille sur le rempart
________L'ironie en était presque mordante, si on pouvait se permettre un jeu de mot aussi douteux. Dire que c'était la soi-disant solution miracle qui devait mettre un terme aux famines tourmentant l'humanité depuis son apparition...
Charles regarda du haut de la clôture la misérable créature qui tendait une main décharnée dans sa direction. Ses yeux quasi aveugles pouvaient aussi bien servir à décrire la faim la plus vorace qu'un pitoyable appel à l'aide d'une bête agonisante. Les doigts aux ongles arrachés grattaient frénétiquement le grillage, tentant d'atteindre les pans de la blouse que portait l'homme. « Quel gâchis », se répéta Charles pour la millième fois. Il tira un dernier coup sur sa cigarette avant de la lancer vers la créature qui continuait à gratter en contrebas. Le mégot brulant heurta un oeil, mais la chose ne sembla même pas s'en rendre compte, toute affolée qu'elle était par la proximité de sa proie insaisissable.

Un léger toussotement dans son dos. Charles se retourna et observa Kevin se balancer d'un pied sur l'autre. L'adolescent avait revêtu un sweet crasseux qui se mariait parfaitement avec un jean tellement usé et abimé qu'on aurait dit qu'il venait de réchapper de justesse à une attaque d'une de ces créatures. L'ensemble était trop serré maintenant pour le jeune homme, en phase de rapide croissance. Avec ses cheveux en bataille, à la lumière de la lampe à gaz, il avait l'air d'un pauvre épouvantail que quelqu'un se serait amuser à passer à plusieurs reprises dans une machine à laver.
Pour la millième fois également, Charles se demanda pourquoi il s'encombrait d'un tel paquet qui le ralentissait ainsi dans toutes ses entreprises et avait le don rarissime de l'exaspérer au plus haut point. Peut-être, s'avoua t-il, parce que sans ce « paquet », il y a longtemps qu'il aurait lui-même largué les dernières amarres, comme tant d'autres.

- Et maintenant ?, s'aventura finalement l'adolescent.

- Et maintenant, on plie baguage. Ca ne va plus tarder. Je pense même que c'est pour ce soir, au vu de l'état de notre « invité ».

- Et les autres ?

- Il n'y a rien à faire pour eux.

- Mais …

- Ne me force pas à ravoir cette conversation avec toi, Kevin. Je t'ai déjà expliqué que nous n'avons pas le choix. Alors cesse tes enfantillages, et va préparer tes affaires !

Ces derniers mots avaient été prononcés d'un ton sec, qui ne souffrait contestation. Kevin avait passé suffisamment de temps avec son « mentor » pour savoir qu'il était inutile d'argumenter plus longtemps. Avec réticence, il se mit à fouiller le coin du taudis où se trouvaient ses affaires personnelles et commença à les ranger dans une vielle valise. Il était rare que le jeune homme cherche encore à discuter les ordres de son compagnon. Les occasions n'avaient pas manqué, au cours des derniers mois, où il avait pu constater la sagesse de ses directives. Mais Charles croyait savoir pourquoi cette fois-ci son protégé s'était ainsi permis de le questionner. Il l'avait vu la veille, discutant avec la fille d'un des ploucs habitant un taudis proche. Cette lueur, dans ses yeux, Charles l'avait connu aussi, il y a bien longtemps. « Avant que les choses ne commencent à foirer... ».

A vrai dire, ils n'avaient vraiment pas le choix. S'il le pouvait, il emmènerait la fille avec eux. Pas pour faire plaisir à Kevin, non, plutôt comme une manière de ranimer le souvenir de sa propre jeunesse. Ce serait aussi l'occasion d'agrémenter leur solitude respective. Mais comment expliquer au père de cette gamine que quitter la cité et la protection de ses murs, et ce dès cette nuit, était leur dernière chance de survie ? Comment expliquer qu'il avait passé plusieurs années à étudier ces créatures que les locaux de cette région nommaient « les voraces » ? Qu'il en savait beaucoup plus qu'eux, au point d'avoir remarqué le développement d'une sorte d'instinct grégaire, un flair surnaturel qui faisait qu'à plusieurs kilomètres de distance, un spécimen isolé pouvait sentir l'approche d'une horde entière des siens ? Et surtout, surtout, comment expliquer aux autres la présence d'une de ces créatures voraces dans les murs même de leur chère cité ? Certes, l'échantillon était solidement enchainé et caché dans un enclos, lui-même camouflé en dépendance du laboratoire improvisé qu'il avait construit derrière leur taudis. Mais Charles ne doutait pas de la réaction de la populace si cet « aménagement » très particulier venait à être découvert. Il avait eu déjà le plus grand mal à faire entrer la chose dans la cité sans se faire repérer.
Il y a longtemps de cela, Charles avait essayé. Plein de bonnes intentions, il avait essayé de partager ses découvertes avec d'autres, leur faire profiter de sa longue expérience des créatures. On ne l'avait pas cru, on l'avait traité de démon. Il avait failli y laisser sa peau. Désormais, seule cette dernière comptait.

Dans sa fosse, la créature affamée poussa un grognement, s'agitant de plus en plus à mesure que les minutes s'écoulaient. Kevin avait enfin rassemblé ses affaires. Sans ménagement, Charles le poussa dehors et referma la plaque de fer qui servait de porte à son taudis. Il n'eut pas un seul dernier regard pour la chose qui s'agitait dans la fosse.

« - Dépêche-toi, nous devons nous mettre en route avant qu'il ne fasse complètement nuit. Après, ce sera trop tard », grogna Charles, en entrainant Kevin sur ses pas. Les deux hommes se faufilèrent dans les ruelles. Le soleil commençait à descendre, et la plupart des citadins avaient déjà rejoint leurs baraquements ou la taverne qui servait de point central à cette place. Leur départ passerait inaperçu … du moins jusqu'à ce que cela ne fasse plus aucune différence. Ils n'étaient plus qu'à une ruelle des portes de la cité quand une voix timide les interpella :

«- Kevin ... vous partez ? »

C'était la fille. Celle du plouc d'à coté. Celle avec qui Kevin avait hier passé l'après-midi a discuté, pendant que Charles consignait ses notes. Elle s'avança vers l'adolescent. A la lueur rasante du jour, on aurait dit un petit animal chétif, à la toison blonde teintée de reflets châtains. Elle avait de grands yeux verts, qui fixaient tristement les deux fugitifs.

«- Je suis désolé, Clara. Mon... mon père m'a demandé de le suivre dans un expédition importante, une mission nocturne pour la cité.
- Une mission nocturne ? A cette saison ? Mais... Je croyais qu'on devait aller ensemble au puit, demain matin ? Et tu m'avais promis de me raconter l'histoire du grand Hawking, que t'as apprise ton père ! »

Charles vit les larmes venir aux yeux de l'adolescent. Il anticipa le mot de trop et poussa Kevin vers les portes, sans lui laisser l'occasion de les compromettre par une vérité de trop .

« Demain soir Clara, déclara Charles, en souriant à la jeune fille. Je te promets que demain soir, dès notre retour d'expédition, vous aurez tout le temps de vous raconter des histoires, et plus encore. »

Il avait lancé cette dernière phrase en l'appuyant d'un clin d'oeil entendu. La jeune fille rougit. Elle regarda les deux hommes s'éloigner en hâte en direction des portes, et leur fit un dernier signe timide de la main. Mentalement, elle leur souhaita aussi bonne chance, car les missions nocturnes à l'extérieur étaient toujours quelque chose de risqué.
Ils franchirent les portes sans encombre. Le gardien en faction, occupé à vider les dernières gouttes de son tord boyau, ne leur prêta pas la moindre attention. Ils continuèrent dans le désert pendant quelques centaines de mètres, avant d'obliquer vers l'Est et une petite dune. Derrière celle-ci, une planche en bois tordue avait été plantée à même le sol. Les deux hommes déblayèrent les quelques maigres fourrés, derrière lesquels étaient cachés deux VTT grandement modifiés. Ils se mirent en selle sans un bruit et prirent la direction du Nord.
Derrière eux, les derniers raies de soleil se couchaient à l'abri des hauts murs de la cité. Dans la pénombre, Kevin s'imagina la jeune fille qui les observait, du haut des remparts. Il sentit ses jambes plus molles que jamais, mais ne s'arrêta pas pour autant de pédaler.

Ils avaient déjà parcouru plusieurs pénibles kilomètres dans le désert et s'étaient accordé une pause au coin d'une dune, lorsqu'une brutale explosion se fit entendre derrière eux. Là-bas, quelque part dans la nuit profonde. S'en suivit une série de crépitements étouffés, caractéristiques d'armes à feu de léger calibre. Charles savait que s'ils avaient été plus proches, ils auraient aussi pu entendre les hurlements émanant de centaines de gorges, prises au piège dans la cité progressivement noyée sous une déferlante impossible à arrêter.

Vint le silence. Les deux hommes évitaient de se regarder.

« Il n'y avait rien à faire, Kevin, tu le sais bien... rien à faire », répéta Charles en tentant vainement de se convaincre lui-même.

Kevin ne répondit rien, continua à fixer devant lui les ombres qui se mouvaient dans le noir.


Dans sa tête, elles formaient l'image d'une jeune fille, seule, assise sur son rempart.





Fin du Chapitre 1.

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