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Récit : « Ceux qui veilllent »

SommaireChapitre 1

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Chapitre 1 : Ceux qui veillent
L’homme tira sur la clope. Le vent attisa le bout incandescent qui se mit à rougeoyer de plus belle. C’était contre toutes les mesures des manuels militaires. De nuit, un fumeur était repérable de loin, de très loin. Il devenait une cible de choix.
Mais ce genre de conseil était bien inutile désormais avec le genre d’adversaire qui patientait dans les ténèbres. Le soldat n’avait rien à craindre d’un tireur éventuel tapi dans l’ombre qui le prendrait pour cible, attiré par le rougeoiement de sa cigarette. Non il n’avait plus rien à craindre de tout ça. Plus jamais.

Ceux qui le menaçaient le voyaient de toutes façons, ils le percevaient plutôt, de jour comme de nuit.
Ce n’était plus des humains. Que des coquilles vides décérébrées qui ne désiraient qu’une seule chose : dévorer la chair des hommes.
C’était la Mort elle-même qui les assiégeait inlassablement.

« Il te reste encore une clope, Roberts ?
La voix sortait de son talkie-walkie. Le soldat se retourna et chercha du regard celui qui venait de parler. A quelques dizaines de mètres de là, arpentant tout comme lui les remparts du fort, un autre soldat lui faisait signe, obligé tout comme lui à passer les longues heures de la nuit à veiller sur les remparts.
Roberts n’avait pas reconnu qui lui parlait. Un pauvre type comme lui engagé dans une guerre que plus personne n’espérait gagner.
L’homme lui fit à nouveau un signe de la main que Roberts lui rendit cette fois-ci. Puis ce dernier sortit de sa poche un paquet de cigarettes qu’il agita pour s’assurer de son contenu.
Il ne lui restait que trois clopes. Pas de quoi sauter au plafond.
Roberts se résolut cependant d’en offrir une à son compagnon d’infortune. Il n’avait pas le choix maintenant. Il ne pouvait pas se cacher et mentir.
Il aurait dû être plus prudent et fumer en cachette mais là Roberts n’en pouvait plus.
Ce n’était pas grave. Il n’allait pas refuser un acte de compassion à un Veilleur, comme lui. Surtout que ça pourrait être le dernier. Une nuit sur les remparts, c’était souvent un rendez-vous avec la mort assuré.
Roberts fit un signe de la main à l’homme lui enjoignant à le rejoindre.
- Allez, bien sûr, viens. »
Il cacha toutefois deux clopes dans une de ses poches, au cas où ce n’était pas sa dernière nuit.
Quand l’inconnu partit quelques minutes plus tard, une cigarette à la bouche, Roberts se retrouva seul à nouveau. Seul avec ses pensées, seul avec ses angoisses.
Il frissonna sans véritablement s’en rendre compte et se remit à fixer l’horizon.
Au loin il devinait les tours de la ville, autrefois lumineuse et dorénavant abandonnée.
Il n’en restait plus rien. Les lumières s’étaient éteintes en même temps la vie. Il n’y avait plus rien là-bas. Plus que les vestiges d’un passé à jamais révolu.
Et les morts.

La ville… Roberts se surprit à chercher à vouloir se remémorer son nom. Mais il en était bien incapable. L’avait-il su un jour ? Il ne s’en souvenait même plus. Tant de nuits passées ici, tant de frayeurs avaient annihilé son esprit. Il n’agissait plus que par instinct. Des réflexes de survie essentiels en ce lieu pour espérer voir une nouvelle aube se lever.
Cette ville sans nom, il ne la connaissait pas. Roberts ne venait pas de cet état. En fait, il ignorait même où il se trouvait. Il avait voyagé dans tout le pays pour finalement être débarqué ici avec le reste de son unité, dans ce lieu inconnu.
Lui qui n’avait jamais quitté sa petite bourgade dans sa jeunesse, se retrouvait là, perdu au milieu de nulle part, à contempler la fin prématurée de l’humanité à travers les derniers soubresauts de cette ville dont il ignorait le nom.
En fait, il s’en foutait. La fin était si proche. Si proche et si lointaine en même temps. Tout ce qui lui importait maintenant c’était de vivre l’instant présent.
A 100%.

Roberts inspira longuement sa dernière bouffée. Il en tira tout ce qu’il pouvait, jusqu’à ce que le bout incandescent lui brûlât les doigts. La peau plus sensible entre le majeur et l’index, ainsi torturée, réagit aussitôt, envoyant à travers tout son système nerveux un signal de douleur aiguë. Mais Roberts n’en avait que faire. A chaque fois qu’il fumait, il cherchait à en savourer chaque instant, comme si c’était la dernière fois, la dernière clope.
S’il survivait à cette nouvelle nuit de veille, il savait qu’il ne lui restait que deux cigarettes. Ensuite il lui faudrait faire une croix sur ce petit plaisir. Le dernier qu’il restait dans ce bas monde.
Les clopes étaient devenues si rares… un vrai luxe qu’il n’allait pas retrouver de sitôt.

Ce paquet, il l’avait depuis près d’une semaine. C’était un vrai don du ciel. Sans lui, il ne serait peut-être plus de ce monde. Roberts en avait savouré tous les parfums avant de s’octroyer le droit de fumer une clope.
Une par nuit. Pas plus. Histoire de le conserver le plus longtemps possible et pas de gaspillage.
Roberts l’avait trouvé lors d’une expédition à quelques kilomètres du fort. Sur un cadavre récent. Non pas un infecté. Un vrai cadavre. Un frais, victime d’une mort naturelle.
Un survivant abattu par erreur. Une victime collatérale de la terreur qui nous habitaient tous.
Roberts s’était assuré de la précision du tir. Une balle dans la tête. Toujours.
C’était là qu’il s’était rendu compte de l’erreur. Une erreur de plus. Sans gravité.
De toutes façons, ils étaient tous condamnés.
Tôt ou tard.
Rassuré de l’absence de danger, Roberts avait entrepris de fouiller le survivant. Il n’avait rien sur lui d’intéressant.
Sauf ce paquet de clopes.

Sans le signaler dans son rapport, Roberts s’en était emparé. Ni vu ni connu. Dans une de ses chaussettes.
Roberts savait qu’il devait garder sous silence sa trouvaille. Parler d’un tel trésor, c’était l’assurance de se faire attraper dans un coin et de se faire tabasser. Ce ne serait pas la première fois que cela arriverait. La survie était devenue une lutte de tous les instants, même dans les abris. Tout ça pour même pas dix malheureuses clopes.
Sans compter les officiers, encore plus rapaces qui n’hésitaient pas à dépouiller leurs subordonnés, avant de les envoyer dans des expéditions sans retour.

Risquer sa vie pour un tel plaisir, si fugace, cela pouvait paraître une aberration mais dans ce cas précis cela ne l’était pas du tout.
Fumer tue dénonçait une mention sur le paquet. Ne pas fumer rend fou, aimait penser Roberts en aspirant la dernière bouffée.
Une clope c’était le dernier rempart avant un acte suicidaire. Prendre tous ces risques n’était donc pas inutile. Au contraire. C’était l’assurance de survivre plus longtemps.
Alors il avait tout fait pour garder son précieux trésor caché de tous.

Jusqu’à ce soir-là.

Être assigné à la surveillance des remparts la nuit, c’était se préparer à mourir tôt ou tard. Les ténèbres autour du fort étaient chargées de peurs inqualifiables, profondément ancrées dans l’âme, des terreurs dont l’origine se perdait dans la nuit des temps.
Depuis toujours l’homme les craignait. Elles recélaient tant d’obscures frayeurs, souvent inoffensives. Seulement la peur du noir et l’angoisse inexorable qui envahissaient les esprits faibles.
Rien de bien méchant.

Mais depuis… - il semblait à Roberts que c’était il y a des siècles- depuis l’apparition du virus, c’était comme si ces terreurs nocturnes avaient pris vie. Elles erraient, vagabondaient dans les ruines de la civilisation, attirés par la vie pour en dévorer la chair et leur volonté.
Comment ne pas céder aux flots incessants de ces créatures sans âme contre les remparts chaque nuit ?
C’était si …usant. Les mots manquaient à Roberts pour décrire ce qu’il ressentait au plus profond de lui. Il avait tellement assisté, impuissant, à la lente décomposition de l’âme de certains de ceux qui comme lui avaient la charge de veiller. C’étaient pourtant de solides gaillards, vigoureux, courageux. Mais l’un après l’autre, ils avaient cédé. Cette lente érosion dégradait si profondément leur résistance qu’à la fin, le mot usé n’était pas assez fort pour les décrire. Ils étaient plus que diminués, l’ombre de ce qu’ils avaient été un jour, de simples simulacres. Des êtres réduits, pas tout à fait morts, mais presque.
Dans un premier temps, une vague d’assurance voire de crânerie avait régné, mais ce ne fut qu’un temps hélas. Les suicides se multiplièrent d’un coup. Comme ça, sans prévenir. Un raz de marée qui avait tout ravagé sous son passage. Tous avaient été atteint, sans distinction de grade ou de situation. Même ceux qui avaient su faire preuve de bravoure et de tempérance.
Les veilleurs comme Roberts n’avaient pas été épargnés. La mort avait frappé et frappé encore leurs rangs qui s'éclaircirent.

Cela avait duré des jours et des jours, jusqu’à ce que le phénomène ne soit plus ignoré mais au contraire reconnu comme un véritable danger. Il fallait faire face à ce fléau ou bien céder à la fatalité et mourir tôt ou tard.
Une énorme campagne de lutte contre le suicide fut menée, à grands coups d’antidépresseurs et de neuroleptiques. La fabrication en masse de petites pilules qui rendent joyeux fut un véritable leitmotiv les semaines qui suivirent.
En posséder et en consommer aussi.

Ces gélules furent distribuées en quantité astronomique dans tous les forts encore actifs. Le manque de temps et la précipitation ignoraient les effets secondaires liés à la prise de telles pilules. Elles étaient de toutes façons négligeables face au fort taux de suicide.
La plupart du temps, elles étaient surtout dangereuses à long terme, or le long terme n’était plus un concept substantiel à ce moment-là.

Roberts n’était pas un consommateur de ces drogues. Il ne voulait pas devenir accro. Il préférait lutter à sa manière contre le découragement et garder les idées claires.
Si un jour il lui venait à l’esprit de franchir le pas, d’enjamber le rempart et de sauter, cette décision, il l’aurait profondément mûrie et acceptée. Mais ce n'était pas encore le cas.
Seules lui importait ces bouffées clandestines, le soir sur les remparts, en scrutant les ténèbres en attendant son inéluctable destin.

Non rien d’autre n’avait d’importance. Il avait tellement perdu beaucoup de ses compagnons, de ses amis. Il ne connaissait presque plus personne parmi les veilleurs. Il faisait partie des anciens, des vétérans.
Plus rien d'autre ne le rattachait à cette vie que savourer cette bouffée nicotinique quotidienne. Sa drogue, son énergie vitale.

Maintenant que le paquet était presque vide, Roberts sentait que cela allait devenir bien difficile les jours à venir. Fini de se noyer dans cette délicieuse fumée des nuits durant.
Alors pourquoi avait-il eu l’idée de partager, de donner une cigarette à ce parfait inconnu qui veillait tout comme lui cette nuit là ? Il n’en savait rien.
Des mots comme compassion ou miséricorde lui vint à l’esprit. Mais à cet instant, Roberts ne pouvait pas se douter qu’il souhaitait seulement partager. Partager un moment d’humanité, en discutant de tout et de rien autour d’une clope. Le genre de geste banal, il n’y avait pas si longtemps et qui disparaissait peu à peu.
Le désespoir, la mort décidément trop présente et l’abus de drogues annihilantes, Roberts n’en voulait plus.
Il voulait vivre… et partager.

Roberts avait une grande estime de son rôle en ce lieu. Les veilleurs étaient les derniers boucliers face à la horde mugissante qui surgissait chaque nuit. Ils se dressaient, imperturbables pour repousser leurs assauts répétés des morts.
Cela n'avait pas été le cas au début. En fait, Roberts avait été volontaire pour cette tâche car il n’avait pas vraiment conscience de toute son importance. Il avait cru dans un premier temps qu’il lui suffisait de rester éveillé toute la nuit et de fixer l’horizon. Il se voyait sonner le tocsin comme au bon vieux temps pour rameuter ses camarades si les zombies venaient à franchir les défenses. Même s’il n’y croyait pas un seul instant. Le fort où ils s'étaient tous réfugiés comportait des murailles hautes de plus de 5 mètres, épaisses de plus d’un mètre. Aucun risque de voir ces créatures décérébrées les franchir.
Roberts n’y croyait pas, même quand ces monstres surgirent dans la ville, en plein milieu de la nuit.
La cavalerie n'était pas arrivée, personne pour les aider à les affronter. Ils avaient été tous seuls. C'était leur rôle à ceux qui veillent.
Et en première ligne.

Être veilleur, c'est accepter de faire sacrifice de sa vie. Roberts avait l'apprendre même s'il avait cru devenir fou cette nuit-là.
Autour de lui, il n’y avait eu que rage et violence, auquel il avait participé en frappant comme il avait pu, à coups de barre de fer. Il avait dû écraser les visages monstrueux des zombies.
Oui un vrai cauchemar qu’il n’avait pas oublié de sitôt. En fait, il revivait chaque fois cet instant durant son sommeil. Il revoyait ces têtes exploser sous ses coups, ne laissant qu’une pulpe nauséabonde.
Et ses compagnons…
Il en avait perdu cette nuit-là. Ce n’avait été que le début d’une liste qui ne semblait jamais vouloir se terminer. Tant de visages connus avaient disparu dans les limbes de sa mémoire.
Pourquoi eux et pas lui ? Cette idée le tiraillait et rendait son sommeil si agité qu’il ne trouvait pas le repos. Cela le rongeait, comme un cancer vicieux. Et il ne pouvait rien faire.

Du coup il avait refusé de faire plus connaissance avec les nouveaux veilleurs, sous peine de souffrir plus encore à leur mort.

Roberts posa une main tremblante sur sa poitrine, non loin de son cœur qui s’emballait. Il cherchait le doux renflement que formait le paquet de cigarettes dans sa veste. Aussitôt, il se sentit calmé. Sa trouvaille inopinée lui avait sûrement sauvé la peau, lui donnant l’envie chaque soir de survivre pour savourer une clope. Plaisir ô combien futile en d’autres lieux mais si important pour lui. Vital même.
Roberts se doutait bien que sans ses cigarettes, son destin aurait été tout autre. Une nuit, il n’aurait pas trouvé la force de survivre aux assauts des morts-vivants. Il se serait abandonné à eux, comme il avait déjà pu voir. Au comble du désespoir, il aurait enjambé le parapet et aurait fait le grand saut, un plongeon dans les bras de la mort.
Ou bien encore s’abrutir de cachetons… Même s’il se refusait à cela.
Cette dernière option lui aurait ôté cette responsabilité de veiller sur la sécurité de tous. Et ça, paradoxalement il se le refusait.
« Veilleur n’est pas un métier d’avenir », aimait-il ironiser, pince-sans-rire. Roberts pressentait que sa vie et sa mort se jouaient désormais sur ces remparts. Il ne voulait pas abandonner.

Il chercha du regard l’homme à qu’il venait d’offrir une cigarette. Ce dernier était retourné à son poste et guettait les ténèbres, tout comme lui. De là où il se trouvait, Roberts pouvait voir à son tour le rougeoiement de la cigarette.
A quoi pouvait penser ce type en fixant ainsi l’horizon ?

Avec le temps, Roberts arrivait à regretter son choix. Il passait pour un aigri, une personne sans intérêt préférant la solitude et un adepte de l'anonisme. Un exclu de la société.
Roberts pensait même que dans son dos, les insultes pleuvaient. Mais il n’en avait cure. Il savait qu’il préférait agir ainsi pour sa santé mentale et seulement pour cette raison.

Mais ce choix lui pesait de plus en plus. Il ne pouvait pas espérer vivre bien longtemps ainsi, au milieu des autres tout en les ignorant totalement. Cela lui coûtait de plus en plus d’éviter les contacts humains, de s’isoler, de ne pas partager. C’était sûrement la raison pour laquelle il avait, sans vraiment hésiter, offert une cigarette à ce type.
Pour lui c'était un premier contact d'établi, ce qui était bien le premier depuis longtemps. Mais cela ne lui suffisait pas. Il en voulait encore. Avoir une vraie discussion, parler de tout et de rien… Il arrivait à en rêver.
Pourquoi pas maintenant ?

Pour la première fois de sa vie, Roberts se demanda s’il pouvait contourner les ordres. Tout en discutant, il savait que tous les deux pourraient observer la horde s’amassant au pied des remparts. Au fond de lui une telle entorse au règlement n’était pas envisageable, mais Roberts sentait au fond de lui l’envie d'en parler. C’était presque viscéral.
Alors oui, pourquoi pas maintenant ?

Roberts sentait son besoin de dialogue, de partage croître. Il voulait parler de cette angoisse presque palpable qui montait au fur et à mesure que la lune pointait dans le ciel. Il avait tellement envie de savoir si cet autre veilleur souffrait de ces mêmes craintes dans son sommeil.
Il avait besoin de partager, pour faire face à cette terreur qui le suçait petit à petit tel un cancer libidineux.

Roberts prit une grande inspiration. Une odeur pestilentielle gagna ses narines et faillit le faire tousser. Ce parfum de charogne… Il le connaissait que trop. Les zombies étaient proches, très proches. D’ici une heure, ils seraient des milliers à s’agglutiner au pied des remparts et le cauchemar allait reprendre. A nouveau.

Roberts jeta son mégot dans le vide et se mit à fixer l’horizon, tout comme l’autre veilleur. Mais il n’y avait rien à voir. Seulement la nuit noire qui charriait son flot incessant de morts-vivants.
Et leurs râles atroces qui s'élevaient.

Il resta ainsi un temps incertain, quelques minutes tout au plus, ses pensées voguant dans le dédale de sa mémoire. Puis soudain, il eut une sensation étrange : celle d’être observé à son tour. Il sentait un regard persistant sur sa nuque.
Roberts fit volte-face brusquement. Ce qu’il vit alors le fit comprendre que quelque chose n’allait pas.


Devant lui se tenait le type à qui il avait offert une cigarette. L’homme était là, immobile et fixait Roberts avec insistance. Sa tête ne lui disait rien. C’était un jeune garçon, à peine vingt ans, même pas. Il avait le visage marqué par la fatigue et l'angoisse. Ses traits étaient tirés, ses yeux grandement cernés. Une vilaine balafre marquait son visage au niveau du sourcil droit. L'arcade sourcilière avait comme éclaté sous l'effet d'un choc puissant. Un hématome violacé, épais comme un œuf de pigeon recouvrait presque tout son œil. La blessure était récente, deux-trois jours maximum. Le résultat d'une bagarre en ville ? Elles étaient de plus en plus fréquentes.
Cette blessure lui donnait un faux air de boxeur, après un combat particulièrement pénible. Mais il avait surtout l'air d'être un bagarreur.

Roberts n’avait pas remarqué ces cicatrices la première fois qu'il l'avait rencontré. La faute à l'obscurité, à moins que le nouveau venu avait fait le choix de ne pas lui laisser l'occasion de voir cette partie de son visage.
Ses yeux bleus glacials ne le quittaient pas. Ils ne trahissaient aucune émotion, aucun sentiment. C’était comme si l’homme était… mort. Pourtant Roberts savait qu’il était bien vivant. Des infimes détails lui prouvaient le contraire : Ses pupilles n’avaient pas pris ce teint froid et malade fréquent chez les zombies. Et l'homme respirait.
Sa poitrine se soulevait et s'abaissait lentement. Il respirait calmement, comme s'il prenait le temps de réfléchir longuement à ce qu'il allait suivre.
Il était donc bel et bien vivant. Peut-être pas dans son assiette, mais bien vivant. Alors qu'est-ce qu'il attendait ainsi ?

Roberts resta quelques instants à observer l'homme, cherchant chez lui une réaction quelconque. N'importe laquelle car il ne trouvait pas son attitude rassurante, bien au contraire.
Il se tenait prêt à réagir, même au pire, en se plaçant de manière à se défendre promptement si l’individu devenait agressif.
Roberts avait appris à se protéger des assauts d’un zombie. Il était tout à fait capable de tenir face à deux de ces immondes créatures.
Mais là face à lui se tenait un jeune gars, en pleine force de l'âge, assez costaud et visiblement pas net.

Qui était ce type étrange ? Il ne le connaissait pas, mais alors pas du tout. Néanmoins, cela n'était pas du tout étonnant vu que Roberts s’isolait de plus en plus. De plus, chaque nuit, un nouveau veilleur montait sur les remparts pour remplacer les pertes. Alors pourquoi pas… ?
Mais celui-ci était si jeune… Qu’est-ce qu’il foutait là ?

Roberts se mit à cogiter : Et si ce type avait pété les plombs ?

Le silence s’ancra entre eux pendant un interminable moment, sans que les deux hommes ne bougent.
Pour Roberts, le temps parut si long qu’il croyait qu'il s’était arrêté, que plus rien ne bougeait autour de lui.
C’était peut-être lui qui devenait cinglé en fait.

Le nouveau venu souleva doucement sa main. Dans un geste nonchalant, il mit à sa bouche un mégot presque entièrement terminé qu'il cachait au creux de sa paume. Il aspira poussivement une dernière bouffée avant de rejeter ce qu’il restait par-dessus le parapet.
Roberts, toujours aux aguets, ne fit aucun geste pour se détendre. Il était sûr que la présence du type n’était pas du tout amicale. Toujours son instinct de conservation.
Il ne quitta pas un seul instant le regard pénétrant du jeune homme.
Sentant qu'il devait agir, Roberts tenta une manœuvre timide pour détendre l’atmosphère. Un petit sourire hésitant.
Mais en face de lui, sa tentative heurta un mur d'ignorance. Le visage de l'homme resta froid et inerte. La bouche s'ouvrit et une forte voix - presque saugrenue chez une personne de cet âge – résonna aux oreilles de Roberts.
« T’as une autre clope ?! »

Roberts jaugea le jeune homme. C’était une belle bête, un bon mètre quatre-vingt. Sûrement un ancien sportif ou du moins quelqu’un qui pratiquait régulièrement du sport avant… l'apocalypse.
Les privations et le manque de sommeil l’avaient atteint tout de même. Il avait sûrement perdu un peu de muscles et de sa vigueur. Mais il demeurait tout de même plus fort que Roberts.
Plus grand et nettement plus baraqué.

Le vétéran savait qu’il n’avait aucune chance si le jeune homme avait vraiment pété un câble. Alors
Roberts demeura immobile tandis que dans sa tête, ses pensées évoluaient à une vitesse incommensurable. Il imaginait tout ce qui pouvait se passer dans les secondes à venir. Il cherchait à évaluer ses chances face à ce type, en mettant en avant les atouts qu’il avait dans la manche.
Très peu en fait.
Son expérience du corps à corps ? Le jeune type avait l’air d’être assez compétent lui aussi. C'était un bagarreur chevronné, sans aucun doute.
Il n'avait bien sûr chance de se faufiler près du jeune homme sans que celui-ci l'attrape ou le frappe. Il était trop las pour envisager une telle solution.
Il lui fallait tout faire pour éviter que la situation ne s’envenime.

« T’es sourd ou quoi ? Il te reste une autre clope ?! »
Le nouveau venu ne l’avait pas un instant quitté des yeux. Il guettait la moindre réaction de Roberts tout en ouvrant et fermant les poings régulièrement, frénétiquement.
L'homme semblait hésiter quant à la suite des événements. Comme si ce geste régulier le calmait, l’empêchait de faire une bêtise qu’il allait regretter plus tard.
Une porte de sortie pour Roberts ? A moins que ce n'était que pour l'intimider encore plus.

Roberts s’en voulait de plus en plus. Il avait voulu accomplir un acte plein d’humanité, en offrant une cigarette à ce type et voilà que maintenant il en réclamait une autre !
Quelle connerie ! Partager… Qu’est-ce qu’il lui avait pris de penser à ça ?! Ah c’était beau, cet acte de générosité dans ce monde brutal... Mais quel idiot, quel idiot ! Il aurait mieux fait de se taire. Pour un peu, il se serait cogné lui-même. Mais la réalité du monde lui était revenue en pleine face, telle une gifle virile.
Et ça l’avait pour le moins réveillé.

Sentant la petite hésitation du jeune homme, Roberts se risqua alors à une réponse ferme.
« C’était la dernière, affirma Roberts.
Sa voix tremblait ne presque pas. Enfin il le croyait.
- J’en ai vu d’autres dans le paquet tout à l’heure…
- Je les ai fumées. Y’en a plus.
- Vraiment ? Tu me laisses vérifier ? »

«Et si je ne veux pas… ?
- Rhoo, fais pas ta chiasse ! Si tu n’as vraiment plus rien, je vois pas en quoi ça va t'ennuyer ! »

Roberts déglutit. Il s’en voulait. Oh que oui, il s'en voulait. Il sentait que les choses n’allaient pas beaucoup s’améliorer à ce rythme.
Il prit une grande inspiration, gonflant ses pectoraux en même temps. Ce n’était pas pour se montrer plus grand qu’il n’était en vérité.
Loin de là. Il s’apprêtait tout simplement à défendre son bien, son trésor, à tout prix.
Sans compter que Roberts pressentait que s’il se laissait faire une première fois, cela n’allait pas être la dernière. L’homme reviendrait souvent à la charge pour l’extorquer, qui sait pour quelle raison. Et c’était bien la dernière chose dont il avait besoin.
- J’ai plus rien, j’te dis ! Retourne à ton poste !!
Roberts se mit à espérer que le ton assez autoritaire qu’il avait pris à cet instant était plus que suffisant pour calmer le type et l’effrayer un minimum.
Mais celui-ci sourit. Enfin Roberts prit le rictus de l’homme pour un sourire.
- Tss, tss, tss… Pas de manière avec moi, veux-tu ? »

Roberts recula prudemment contre le parapet. Ce type était-il vraiment assez dingue au point de le tuer pour des cigarettes ?
Il n’avait pas vraiment envie de l’apprendre. Mais aussi, Roberts ne se savait pas assez fou pour lui obéir.
Quel dilemme ? Que devait-il faire ? Il devait sa peau, mais comment ?

Tout à coup Roberts sut quoi faire. Il n’ignorait plus rien de ce qu’il allait arriver. C'était comme ça et puis c'est tout. Cela ne pouvait pas se terminer autrement.
Sans ses clopes, il serait mort depuis si longtemps. Il avait risqué sa peau pour les avoir en quelque sorte, il devait tout faire pour les garder. Et ce n’était pas un morveux comme lui qui allait les lui piquer.
Roberts se mordit l’intérieur des joues jusqu’au sang pour laisser la colère l'envahir. Le goût amer coula au fond de sa gorge et sur sa bouche. Il s’essuya avec la manche, un peu de salive rougie apparue à la commissure de ses lèvres. Son visage s'empourpra pour devenir qu'un masque de haine.

Le jeune homme recula, impressionné. Visiblement il était un peu effrayé par la réaction de Roberts. Il ne s’attendait pas à ça.
« Hé là, calme-toi. Je ne te veux pas de m… »
Roberts sortit fébrilement de la poche de son treillis, un petit canif à la lame souillée. Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, Roberts sauta sur le type et lui ouvrit la gorge d’un coup sec et expert.
Un flot de sang gicla aussitôt tandis que le morveux tombait à genou. Il murmurait de borborygmes incompréhensibles tout en essayant vainement de retenir sa vie qui s’enfuyait à toute vitesse.
Les yeux bleus du jeune homme étaient suppliants, chargés d’incompréhension. Mais il était déjà trop tard. Dans un dernier gargouillis immonde, il s’écroula au sol.
Quand son visage atteignit la mare de sang, il était déjà mort.

Roberts s’agenouilla auprès du cadavre. En un geste précis et sans la moindre hésitation, il entreprit de le fouiller minutieusement.
Il ne trouva rien d’intéressant à ses yeux, sauf un briquet en métal, un Zippo, marqué d’une tête d’aigle. Roberts le secoua et sentit qu’il restait encore un peu d’essence.
« Bonne chose ça », se réjouit Roberts qui le mit dans une poche sans attendre.
Ce fut la seule chose qu’il garda.

Il prit une grande inspiration avant de soulever avec difficulté le corps sans vie en le saisissant par les bras. Le jeune homme avait été de son vivant un être vigoureux et massif. Il l’était toujours. L’effort que Roberts avait du faire pour pouvoir déposer le haut de son corps sur le parapet le laissa épuisé et en sueur totale.
Cependant Roberts se devait de poursuivre malgré sa fatigue.
Il contourna le cadavre et souleva les jambes. Emporté par le poids du haut du corps, le cadavre fut emporté et dégringola dans le vide.
Un bruit sourd retentit quand il toucha le sol au pied des remparts. Mais ce qui parvint aussitôt aux oreilles de Roberts, c’étaient les grognements inhumains qui résonnaient dans les ténèbres.
Roberts n’eut aucun mal à imaginer les zombies qui approchaient en titubant, attirés par la chair fraîche en offrande.
« Bon appétit, les monstres », murmura Roberts entre ses dents.
S’ensuivirent d’horribles bruits de succion et de mastication.
Mais Roberts ne les entendait plus. Il était déjà loin. Son esprit voyageait par-delà ce réel cauchemar. Il n’entendait plus rien de ce qui se passait quelques cinq mètres plus bas. Il l’ignorait totalement en fait. Ses yeux fixaient l’horizon, la tête perdue dans ses songes.

Machinalement, il tâta sa poche à la recherche de son paquet de cigarettes. Il fut rassuré de le sentir à sa place et sourit béatement.
Il était heureux de toujours les posséder.
Son petit plaisir...
Toujours aussi machinalement, Roberts s’en empara et déposa une cigarette au bord de ses lèvres. Il ne lui en restait peut-être plus que deux, mais il pouvait se permettre d’en savourer une autre.
Il en avait bien le droit non ?
Et puis ça le calmait, comme à chaque fois.

Demain, il se promit qu’il sortirait avec l’expédition. Il trouverait bien quelques cigarettes et les fourrerait dans sa poche discrètement.
Comme d’habitude.

Le vent attisa le bout incandescent de sa cigarette qui se mit à rougeoyer de plus belle tandis qu’il tirait dessus. Il garda un instant la fumée dans sa bouche avant de la relâcher lentement en faisant des cercles.
Oh que ça faisait du bien !
Son exutoire était… presque jouissif. Encore plus que celui de tuer un homme.
Ces petits plaisirs de la vie le rendaient si fort pour résister au désespoir ambiant. Cela lui évitait de franchir le pas et de sauter.
Il chercha du regard l’endroit où avait dû tomber le cadavre. Les horribles bruits se poursuivaient, mais il n’en avait cure.
Il secoua la tête de dénégation et dit tout bas :
« Encore une vie fauchée par le désespoir. C’est triste… »
Il soupira et prit une autre bouffée.

Au loin l’aube naissait à peine à l’horizon.
Une nouvelle journée s'annonçait. Avec le décompte des pertes de la nuit.
Le tribut à payer de ceux qui veillent.

The End

ps:cette oeuvre RP est de darkhan27,je l'ai mis sur ce site afin d'éviter qu'un rp magnifique tombe dans l'oubli

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