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Récit : « INDOLENCE SANS ESPOIR »

SommaireChapitre 1Chapitre 2Chapitre 3Chapitre 4

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Chapitre 1 : Fort Hood
Le couple avait roulé toute la nuit, direction le sud. A l'aube l'autoroute était désespérément vide, abandonnée. Plus rien.
Ils s'étaient arrêtés pour faire une pause au milieu de ce nulle part. Un paysage lunaire d'où s'élevaient de véritables cathédrales de roches. Ils étaient seuls et en même temps ils se sentirent rassurés. Ce qui n'avait pas été le cas depuis bien longtemps.
Trois jours qu'ils filaient ainsi tous les deux, ne s'arrêtant que pour siphonner le réservoir d'une voiture abandonnée et trouver de quoi se désaltérer ou calmer leur faim.
Ces longues heures sur une si petite moto était un vrai calvaire surtout pour la passagère assise à l'arrière. Mais elle ne disait rien et souffrait en silence. Elle savait que c'était l'unique solution pour fuir l'enfer qu'était devenue la ville. Leur ville. Dallas.

Le désert les entourait, les avalait presque mais c'en était presque une délivrance.
Le premier jour de leur fuite sur l'autoroute, il avait croisé des centaines et des centaines de véhicules ce qui les avaient grandement ralentis. Mais tous n'étaient pas abandonnés. Enfin pas dans le sens où on pourrait le penser. L'interstate grouillait littéralement de morts-vivants, comme ceux qu'ils avaient pu voir dans Dallas. Ce n'était plus des hommes, des femmes, mais des cadavres ambulants qui se jetaient sur eux pour les dévorer. Heureusement que la moto était nerveuse et surtout tout terrain, car plusieurs fois, ils avaient dû prendre des risques pour échapper à une mort certaine.

La jeune femme posa un pied au sol. La peau de son visage était déjà presque tannée par le soleil. Un vent brûlant soufflait et soulevait des volutes de poussière qui accentuait la sensation de soif. Ils avaient tous les deux les lèvres irritées par le manque d'eau et le souffle chaud et sec.
Rien autour d'eux. Plus de camions ventrus dormant le long des voies désertes, plus de voitures abandonnées et dépouillées.
Plus aucune trace humaine à perte de vue.
La nature dépouillée.
Le désert.

Mais aussi aucun espoir de trouver de l'eau ici. Ce désert pourrait être bientôt leur propre tombeau. Et cela ne confortait guère le couple.

La jeune femme, 16-17 ans grand maximum, s'étira, avant de faire quelques pas tremblotant. Le sang avait dû mal à circuler dans ses jambes ankylosées. Elle ne savait pas combien de temps elle allait pouvoir tenir face à cette torture.
Il lui avait promis la vie, si elle le suivait.
La mer, au sud, la mer allait leur offrir un échappatoire selon lui. Mais elle était où la mer ?!? Elle regretta le temps où elle paressait en cours devant la carte des États-Unis en mâchouillant un chewing-gum, c'était il y avait déjà bien un siècle. Ou c'était seulement avant hier ?

Sur la moto, le jeune homme, de quelques années son aîné, fouillait dans sa veste en cuir et en sortit un paquet de cigarettes tout écrasé. Il ne lui restait qu'une seule clope. Il soupira, rageant intérieurement de devoir la partager avec... Il avait déjà oublié son nom. Une de ces gamines qui lui faisait les yeux mais dont il ignorait totalement la vie.
Il avait un instant espéré lui faire sa petite affaire. En général, les filles comme elle n'attendaient que ça. Trouver le prince charmant qu'elles appelaient ça. Et ensuite lui les larguaient comme de vieilles chaussettes une fois qu'il avait eu ce qu'il voulait d'elles. Il n'en était pas obligatoirement très fier, mais ... tant pis.
Il jeta le paquet vide au sol, faisant semblant de rager qu'il était vide et cacha la dernière cigarette dans une poche de jean. Celle-là il la fumerait plus tard.
Quand il serait seul.

Ce fut à ce moment qu'il perçut le bruit. Un moteur.
Cela venait de loin et ça semblait se rapprocher de leur position. La jeune fille retrouva toute sa lucidité et se rapprocha de la moto, prête à l'enfourcher pour partir au plus vite. Elle avait l'habitude. Il ne fallait pas traîner dans ce genre de situation.
C'était un moto. Une Harley.
Elle fonçait à toute vitesse vers eux. Comme si elle venait à leur rencontre, avant de s'arrêter à une dizaine de mètres d'eux, le moteur ronronnant.
Le jeune homme n'en crut pas ses yeux. C'était une femme qui conduisait la merveilleuse moto. Une femme au corps athlétique, portant seulement un short noir et un blouson de cuir sombre. Ses jambes musclées entouraient la Harley. Seules des bottes hautes à boucles de métal recouvraient ses jambes tannées par le soleil. La peau dorée de ses avant-bras et des jambes était recouverte d'une fine pellicule de poussière, comme si elle venait de loin et qu'elle avait roulé longtemps. Très longtemps.
Quand elle retira son casque intégral, un rideau de cheveux sombres jaillit. Ils étaient si longs qu'ils balayaient le creux de ses reins.
La vision était presque miraculeuse. Un mirage dans ce désert aride.

La femme se sentait observée et elle en jouait manifestement. Mais à aucun moment, elle ne daigna tourner la tête dans la direction du jeune couple.
Puis, soudain, d'un geste vif et précis, elle projeta la Harley en avant pour se rapprocher d'eux. Elle les fixa d'un air froid, glacial.
"Si vous voulez vivre, suivez-moi !"
Sans ajouter quoi que ce soit, elle appuya sur l'accélérateur, fit un demi-tour tonitruant et repartit par le même chemin par lequel elle venait d'arriver.
" Rob, on fait quoi ? On la suit ?
La jeune femme se colla tout contre le dos du jeune homme, fourrant son visage tout contre ses longs cheveux blonds.
- Tu as mieux à proposer, Juno ? Non !? Alors bien sûr qu'on la suit ! Accroche-toi !!"

Rob accéléra d'un coup et emboîta le pas de la Harley.
Peut-être leur dernier espoir de ne pas crever dans ce désert pourri, alors il n'allait pas la lâcher.
Oh ça non !

***

L'ange noir sortit de l'autoroute et gagna une voie menant droit à l'ouest.
Ce n'était pas la voie pour le Mexique.
Mais Rob n'y fit même pas attention tant son esprit était accaparé par cette vision idyllique que la femme offrait sur sa Harley.
Oui, c'était bien un ange noir.

Il désespérait de ne pas pouvoir la rattraper avec sa misérable moto. Sans compter qu'il avait ce poids mort à traîner... Juno.
Depuis l'arrivée de la femme à la Harley, il n'avait plus aucune pensée pour celle qui avait partagé ces derniers jours avec lui et qui lui avait offert une partie de sa féminité.
Mais Juno n'était qu'une gamine face à ... ça. C'était comme comparer une vieille caisse toute pourrie avec une Rolls. Il n'y avait pas photo. Il s'était bien amusé, mais maintenant c'était terminé. Rob voulait, aspirait à mieux et l'ange noir devant lui était tout à fait à son goût.
Il ne pouvait pas douter un instant que cela n'était pas, mais alors pas du tout réciproque.

Devant, la Harley, sans que Rob ne s'y attende ou l'espère, se rangea sur la droite, laissa la voie à son poursuivant. Rob crut y voir une invitation pour se rapprocher et il donna un coup d'accélérateur. La bécane, déjà bien sollicitée, sembla toussoter, cracher tout en rageant. Rob sourit quand il réussit à s'approcher de sa belle.
Il se cala juste devant la nouvelle venue lui assénant son plus beau sourire ultrabright au passage.
Dans le rétroviseur, impossible de deviner son visage derrière la visière de son casque. Mais Rob jurerait qu'elle souriait.
La femme était à la fois fine et puissante comme sa moto. Un merveille à regarder.
Rob était fasciné.

Un vrombissement et la Harley se rapprocha petit à petit. Rob maintint son allure. Il en faisait un jeu. C'était cependant un bien étrange ballet entre les deux motards sur l'autoroute déserte.
Plus rien n'existait.
C'était ... presque sensuel.

Puis elle le rattrapa jusqu'à frôler le couple. Juno resserra son étreinte. Et Rob se souvint à regret de sa présence.
Son regard s'attarda un instant sur les longues cuisses fines et bronzées. Ses mains gantées de noir. Ces bracelets argentées à ses poignets.
Arrivée à leur hauteur, elle souleva sa visière d'un pouce assuré. On ne voyait que ses yeux. Dorés comme le soleil naissant.
Puis la Harley gronda voluptueusement et elle les dépassa avant de s'engager sur une sortie d'autoroute.
"Fort Hood", indiquait un panneau recouvert de sable rouge.
Rob ne réagit pas à la lecture de ce nom. L'ange noir pourrait les emmener en enfer si elle le voulait, il la suivrait cette beauté.

***

Sans ralentir un seul instant, la Harley traversa les faubourgs d'une petite ville. Juno nota dans son esprit le nom de Killen. Cité dortoir improbable en plein milieu du désert. Killen.
Ce nom ne lui disait rien. Elle qui avait plutôt séché les cours de géographie était incapable de se situer dans l'état. Tout comme Rob. C'était aussi pour cette raison que sans se rendre compte que leur odyssée vers le Mexique avait failli tourner court.
Incapables de se repérer, ils avaient dévié leur course vers l'ouest, s'enfonçant plus dans le désert.

Killen n'était pas une si petite ville que ça avant l'Armageddon. 116.000 âmes environ vivaient là. Suite au discours du Président Reagan, la plupart avait fui au plus vite l'état condamné. Ce fut le cas de beaucoup de petites villes du Texas. Conformément aux ordres et à l'instauration de la loi martiale, Killen avait été abandonnée aux militaires.
Une fuite en avant vers l'espoir que représentaient Dallas et Austin., les deux grandes voisines.
Un espoir vain car le furieux exode laissa place à un énorme bouchon sur les autouroutes. Des dizaines et des dizaines de kilomètres de ralentissement qui étaient tout autant une manne pour les hordes de morts-vivants qui ravageaient déjà tout l'état du Texas.
Le virus se propageait si vite...
En trois jours, la moitié de la population de l'état s'était retrouvé sur les grandes artères et les avait encombrées. Un metde choix pour la mort qui trouva d'autres adeptes en ces proies effrayées.

Bien que la Garde Nationale avait procédé en moins de 24 h à un des plus grands déplacements de population depuis des années, tous n'avaient pas obéi. Certains avaient préféré rester.
A Killen, une minorité de texans avait cru survivre, enfermée chez elle, préférant la lutte et l'individualisme. Le IIème amendement de la constitution et l'histoire spécifique du pays leur avaient laissé croire que rien ne pouvait résister à un homme armé d'un fusil de chasse ou d'un colt 45.
Ils avaient résisté aux Mexicains, aux Yankees, alors pourquoi pas ?
Oui, rien peut-être ne pouvait résiter à un homme déterminé... sauf peut-être un mort affamé.
Et les nuits qui suivirent les premiers exodes résonnèrent des hurlements de ceux qui y avaient cru jusqu'au bout.

Quand les deux motos traversèrent les longs faubourgs désertiques, aux allures de ville fantôme, Juno ressentait sur elle des regards d'envie. Il lui sembla à cet instant qu'il y avait encore dans certaines maisons abandonnées une présence maligne.
Ce qu'elle prit tout d'abord pour une crise de paranoïa injustifiée se transforma rapidement en une angoisse bien réelle quand elle aperçut des silhouettes émerger des maisons abandonnées.
Toute une foule sortit dans les jardins au fur et à mesure que le bruit des moteurs résonnait dans l'avenue principale.
Il y en avait des dizaines, levant la tête au passage des deux motos, source promise d'un éventuel repas. Et dans une démarche titubante et terrifiante, ils entreprirent de les suivre avant de les perdre à nouveau.

Rob se maudit d'avoir un instant pensé qu'il se sentait capable de suivre la belle inconnue jusqu'en enfer. Il se mit à croire que les cieux se riaient de lui tandis qu'ils remontaient les petites avenues de Killen, sous le regard vide des zombies.
Leurs silhouettes dégingandées émergeaient des maisons au fur et à mesure qu'ils avançaient.
"Dans quelle putain de merde allait-elle les emmener celle-là ?"
Rob pestait intérieurement. Il se mit à regretter son engouement à suivre la belle inconnue. S'il avait suivi sa tête au lieu de suivre sa queue...
Il avait tout fait depuis leur départ de Dallas pour éviter les zombies, allant même jusqu'à faire de longs détours pour ne pas être surpris. Une nuit il avait dormi dans les wc immonde d'une station service. Ils avaient dû servir à nettoyer un troupeau de vaches tant l'odeur était horrible, mais pourtant ils n'avaient rencontré aucun problème. Et voilà parce que l'ange noir est arrivée qu'il oubliait toute prudence.
"Il faut te ressaisir Rob !!, lui intimait sa conscience. Et il se mit à sourire tout en serrant les dents.
L'image des longues jambes de l'ange noir était revenu à son esprit. Et la perspective de les caresser un jour.

Rob sentit l'étreinte de Juno se resserrer autour de sa taille. Il avait presque oublié sa présence à elle. Pourtant il lui dit tout en posant sa main droite sur sa frêle main :
"Tant qu'on ne ralentit pas, on n'est pas en danger."
Mais c'était tout autant pour se rassurer lui-même. Et il y croyait à peine. Il se sentait plutôt comme un mouton mené à l'abattoir : effrayé mais incapable d'agir autrement.

Leur guide paraissait sûre d'elle et sans fléchir ou même hésiter un seul instant, elle leur fit traverser sain et sauf les faubourgs de Killen pour s'engager sur une nouvelle et unique route. Un panneau portant l'insigne millitaire signala la base de Fort Hood.
Ils quittèrent la civilisation pour s'enfoncer dans le désert. La présence de zombies diminua peu à peu au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient de Killen. Mais la femme semblait être sur ses gardes. Sa tête tournait à gauche et à droite Jusqu'à ce qu'ils arrivent devant une grille qui barrait la route. L'unique entrée dans ce dédale de fers barbelés et ces miradors.
Fort Hood régnait au beau milieu de nulle part, avec pour uniques voisins le désert et les coyotes.

Le cœur même de la base était protégé par une double ceinture de barbelés et de miradors. Haut d'au moins de trois mètres, tenter de la forcer nécessitait une puissance de feu redoutable... en temps normal. Car le rempart était lui aussi désert. Aucun garde, aucun soldat sur les miradors près de la grille.
La jeune femme stoppa sa Harley près de la grille et entreprit de commencer à pianoter sur une serrure électronique protégée par un code.
"Vous deux, ordonna-t-elle au jeune couple, vous matez bien qu'il n'y a pas un rôdeur qui se ramène en douce. Si c'est le cas... (elle tendit un revolver à Rob) ... tu te serviras de ça. Tu sauras le faire ?
- Ouais.
Son air voulait être assuré, presque détaché par rapport à la situation. Mais il en était rien. Sa traversée des faubourgs l'avait beaucoup plus marqué qu'il ne voulait le montrer. Juno, toute tremblante, se colla à lui et frissonna à la vue du revolver.
- Mais Rob, qu'est-ce qu'on fait là ?!, gémissait-elle.
Son compagnon lui jeta un air des plus désagréables. Il en pouvait plus d'elle, sans compter qu'elle ternissait l'image qu'il voulait donner de lui à l'inconnue. Plus le temps passait, plus la présence de la gamine ... l'ennuyait.
Oh oui elle l'ennuyait.
Plus il y pensait, plus il se disait intérieurement qu'il aurait dû la laisser à Dallas et piquer la moto tout seul.
- Rob, on doit aller au Mexique !!
- Le Mexique, ma poulette ?, s'écria la femme à la Harley. Y'a plus rien là-bas. Tout est mort depuis longtemps. Je le sais, j'en viens.
- Rob....
- Tais-toi Juno. Dites Mada'... Eh, je crois qu'il y en a qui approche là.
En effet, au loin, des silhouettes titubaient dans leur direction. Une poignée de zombies attirés par la promesse d'un bon repas.
- C'est bon, on va rentrer. Encore deux petites minutes... Putain de code...
- Euh, je sais pas si on les a là !?!
L'inconnue qui s’échinait sur le clavier numérique jura à nouveau avant de prendre la parole, d'un ton plus calme.
- Ils sont où là ?
- Je sais pas. 200 mètres au moins.
- Au niveau de quoi ?!, s'écria la femme.
- ... Au niveau ..? Ah oui, au niveau ... d'un poids lourd garé.
- Un Texaco ?
- Oui je crois...
- Rob..., gémit Juno.
- Tais-toi, s'te plaît, c'est sérieux là.
- Rob... ROB !!
- Juno, ferme la ou je ... Oh mon dieu !"

Un zombie, vraiment mal en point, approchait depuis la droite. Il longeait le grillage et s'approchait du trio le bouche pendante. Ses yeux dépourvus de pupille semblaient brûler d'un feu diabolique. Il titubait dans leur direction traînant derrière lui sa jambe d'où émergeait une partie de son fémur. Le zombie était encore vêtu de son uniforme de GI, entaché de sang. Son abdomen n'existait plus en tant que tel : il ne lui restait plus qu'un trou béant d'où émergeaient une chair dont la couleur tirait au vert.

" Y'a quoi là, mec ?!, hurla la femme. Elle tourna la tête et aperçut le monstre qui approchait. Bute-le vite !! Bute moi ce salopard.
Mais Rob hésita. Il ne pouvait pas lever son bras, qui était devenu aussi lourd qu'une chape de plomb. La vision d'horreur le tétanisait, l'obnubilait.
Il en avait vu des morts ces derniers jours, mais pas de si près et surtout pas dans un tel état de décrépitude. C'en était trop pour lui. Il ne réagit pas et fixa immobile le zombie qui s'approchait inexorablement de lui.


***

Il existe des secondes qui durent parfois des minutes, voire des heures. Le regard de Rob était scotché sur le résidu humain qui s'avançait vers lui. Et sa main était si lourde, si pesante. Il ne songeait même pas à la lever pour pointer le revolver. Il ne pouvait détacher ses yeux de ce qui avait été un jour humain et qui ne l'était plus. Ce monstre au corps vaguement humain qui ne désirait qu'une chose : le bouffer. Le pire, c'était qu'il le savait. Au plus profond de son esprit anesthésié, des alarmes s'allumaient les unes après les autres pour le tirer de cette torpeur. En vain.
De même qu'il ne sentit pas la main tremblante se saisir du pistolet et s'en emparer fébrilement comme d'un objet fragile. La petite main de Juno glissa légèrement sous le poids de l'arme mais la jeune femme se ressaisit et pointa le canon sur le zombie.
Celui-ci ne réagissait même pas. Que pouvait lui faire une arme destiné à tuer alors que lui-même était déjà mort. Sans compter qu'il l'ignorait lui-même !! Mû par cette volonté sauvage et bestial de se nourrir, cette unique pulsion qui menait désormais ceux de son espèce à se nourrir de chair humaine, le zombie avança sans ralentir un seul instant.
Deux mètres. Deux petits mètres séparaient le cadavre animé des trois survivants.
Juno tremblait beaucoup mais elle ne devait pas hésiter un seul instant si elle voulait sauver Rob.
Un mètre.
La déflagration résonna, tel un écho perdu. Juno aurait voulu se couvrir les oreilles tant ses tympans vibraient douloureusement. Mais la violence du recul de l'arme - pourtant bien faible - l'avait déséquilibrée et malgré un pas en arrière pour essayer de ne pas chuter, Juno tomba sur les fesses et lâcha le revolver.
La balle frappa toutefois le zombie en plein dans le torse. Il ne réagit pas pour autant et continua d'avancer vers Rob.
Ce dernier sortit de sa torpeur lors de la détonation pour finalement lever le bras pour essayer de se protéger de l'attaque du monstre. Il sentit la froideur du contact de la chair morte sur son bras nu. Un frisson le parcourut l'échine. C'était comme si la Mort venait elle-même le frôler de son toucher glacial. Rob aurait voulu se détacher, fuir au plus loin de cet immonde contact.. Mais il ne pouvait plus rien faire, c'était trop tard.
Derrière lui, Juno hurlait à se démettre la mâchoire.
C'était fini. Il allait mourir.

Rob sentit qu'on tirait son bras. Il voulut résister mais le zombie ne le lâcha pas et la prise autour de son avant-bras s'accentua.
Pourtant le monstre avait reculé. Derrière lui, la femme à la Harley avait bloqué à l'aide de son bras la tête décrépie. Puis à l'aide de l'autre elle fit pénétrer un tournevis dans le crâne par l'oreille du zombie.
Rob ne put retenir son dégoût de voir le manche de l'outil d'un côté et l'autre bout du tournevis sortir de l'autre extrémité.
Une bile immonde émergea de la bouche du zombie tandis que la prise de la jeune femme ne flancha à aucun moment. D'un geste bref et précis, presque technique, elle tourna violemment la nuque du monstre. La tête se détacha en un splatch presque burlesque et le corps tomba au sol.
Rob et Juno n'en croyaient pas leurs yeux. La jeune femme à la Harley posa une botte en cuir sur la tête du zombie et en retira le tournevis d'un geste rapide.
Elle tourna ensuite son regard vers la route par laquelle ils venaient d'arriver.
"Voilà les autres. On doit se dépêcher. La grille est ouverte. Toi, fais entrer ta moto.
Rob, encore tétanisé, ne réagit toujours pas. Son ange noir était devenu un ange de la mort.
Froid et glacial.
- Vite !!! Magne-toi.
Elle releva Juno qui tremblait de tous ses membres au sol et ramassa le revolver.
Puis sans s'occuper de savoir si elle était suivie, engagea la Harley de l'autre côté de la grille.
Rob et Juno lui emboîtèrent le pas.

***

Fort Hood.
880km2 assujetti à la toute puissance américaine. Plus qu'une simple base militaire. Une ville.
Construit durant la seconde guerre mondiale, dans une zone semi-aride, Fort Hood avait l'ambition d'être la plus vaste base militaire du pays. Le siège de l'arme blindée de l'armée de terre des États-Unis, la seule installation capable d'accueillir deux divisions blindées complètes.

Située au coeur du Texas, à 100 km au nord d'Austin, la capitale de l'État, la base était presque aussi étendue que la ville de New York. Elle aurait dû abriter environ 52.000 soldats et plusieurs milliers de civils.
Mais la désillusion de la guerre et l'énorme coût qu'engendra sa construction fut un véritable gouffre financier, et le projet de cette base tomba à l'eau.

"L'endroit formidable", surnom donné aux concepteurs du projet en raison de la qualité de la vie qu'elle allait offrir n'avait en fait rien d'agréable. Délaissée, abandonnée, ce n'était plus qu'un vaste camp désertique quarante ans plus tard. Des centaines de maisonnettes toutes semblables dépourvues de propriétaires offraient un triste spectacle d'abandon.
La vie n'avait pas quitté la base. Elle n'était jamais venue jusqu'ici !
Fort Hood représentait un gaspillage financier énorme, véritable verrue de l'état du Texas. Faute de pouvoir l'entretenir ou d'y accueillir son personnel correctement, l'armée l'avait abandonné, le pays l'avait abandonné, le Texas l'avait abandonné, laissant au vent la liberté de se promener à loisir dans ses larges rues désertes.

Pourtant depuis quelques jours, il y régnait ici une animation digne d'une grande ville. Des centaines de personnes y avaient trouvé refuge. Car Fort Hood était bâti autour d'un bastion inexpugnable, une relique du XIXème siècle qui offrait un abri de choix face aux hordes de morts-vivants.
Et c'était là que l'ange noir emmenait les deux jeunes gens.

***

Le complexe militaire était très vaste. Des hangars clos occupaient une surface étendue et déserte. Toute une série de lignes barbelées en délimitaient les accès et il fallut aux nouveaux venus, passer par de nombreux points lourdement sécurisés.
En effet, à chaque barrage, deux hommes armés répondaient aux signes que l'ange noir leur lançait et ouvraient au plus vite le passage avant de le refermer jusqu'après eux. Aucun zombie n'était à l'horizon mais nul doute que ceux qui avaient trouvé refuge dans Fort Hood redoutaient ces monstres, préférant cloisonner les différentes voies au cœur de la base.
Ça et là des volutes de fumée noires montaient au loin, comme si d'énormes brasiers finissaient lentement de se consumer dans tout le camp. De là où elle se trouvait, Juno pouvait apercevoir l'un d'eux et le regretta aussitôt. A quelques centaines de mètres de là, un pick-up ronronnait doucement. Plusieurs silhouettes indistinctes s'affairaient auprès de l'un de ces bûchers. Elles semblaient décharger des masses lourdes du véhicule avant de les jeter à même le feu couvant.
Juno frémit sans savoir pourquoi. Il lui vint à l'esprit une sombre idée, celle-là même qu'elle n'aurait jamais pensé voir. Ces hommes se débarrassaient de cadavres !! Des zombies ?

La femme à la Harley traversa en ralentissant à peine tous les postes de garde, sans descendre de moto pour ouvrir les lourds portails. Par trois fois, elle signala sa présence d'un signe de la main ou en usant de son avertisseur sonore, avant de pouvoir s'engager et s'approcher de plus en plus du bastion. Qu'importait le signe, c'était comme s'il fallait prouver à chaque fois, d'une manière ou d'une autre qu'ils étaient bien tous les trois vivants.

Rob sentait à chacun de ses passages gardés, des regards méfiants peser sur Juno et lui. Il avait même la désagréable impression de sentir un canon était pointé sur sa tête.
Le dernier barrage était gardé par un char d'assaut. Un Sherman. Rob le reconnut car, malgré ses échecs scolaires et sa haine viscérale de l'école, il adorait tout ce qui concernait la deuxième guerre mondiale.
C'était une véritable relique militaire qui se tenait devant les deux motos. La réminiscence d'un passé révolu. Celui d'un pays conquérant. La guerre avait été perdue par les États-Unis, quarante ans plus tôt. La défaite avait engendré la résignation et l'oubli. La gloire militaire, tout ça, ce n'était que pour les nostalgiques. Il n'en demeurait plus rien. Les États-Unis n'étaient plus une puissance, rien qu'un allié inféodé à la toute puissance soviétique.
Mais les nostalgiques, le pays n'en manquait pas. Des anciens, vétérans de la guerre du Vietnam ou bien des plus jeunes désireux d'en découdre un jour, motivés par des idées d'indépendance militaire et de gloire passée.
Rob était l'un de ceux-là. Et de voir ainsi devant lui cette relique de la gloire passée le rendait tout à coup presque heureux. La situation actuelle était des plus horribles, sans aucun doute. Le pays était exsangue, presque à l'agonie, mais de ses cendres, il allait renaître, recouvrer sa splendeur oubliée. Rob le savait. Seuls des citoyens comme lui, désireux d'en découdre et de lutter jusqu'au bout, allaient redonner aux États-Unis leurs lettres de noblesse.

Le tank Sherman bloquait leur avancée. Cette fois-ci l'ange noir descendit de sa Harley et avança près du char pour parler avec le type dans la tourelle. D'un signe de la main, elle indiqua à Rob et à Juno de rester à leur place.
Pour leur bien.
L'homme pointait sa mitrailleuse lourde sur le couple et ne semblait pas vouloir leur adresser le moindre sourire un seul instant. Au contraire. Il avait ce regard méprisant qu'ont les personnes imbues d'eux-mêmes. Il toisait le jeune couple avec arrogance et sa main tremblait sur la gâchette. Il pouvait tirer à tout moment. Ce type n'attendait que ça, un ordre et tout serait fini.
Rob sut alors que la situation pouvait à tout instant exploser, dégénérer.
Le regard de l'homme dans la tourelle se tourna vers l'ange noir. Celle-ci s'adressait à lui en faisant de grands moulinets à l'aide de ses bras. Elle cherchait manifestement à attirer son attention. Comme si elle savait ce qu'il se passait dans la tête du type.
Puis un autre homme émergea de derrière le Sherman. Son t-shirt blanc tranchait avec sa peau. C'était un afro-américain d'une quarantaine d'années. Ses tempes grisonnantes lui donnaient un air des plus honorables et son sourire éclaira son visage taciturne.
Un silence pesant plongea la scène dans une chape de plomb avant que l'homme se mit à rire aux éclats. Un rire de stentor, grave et entraînant. Le nouveau venu gonfla le poitrail tout en inspirant avant de croiser les bras de satisfaction.
Rob ressentit la pointe dans son estomac disparaître... pour finalement revenir encore plus acéré. Le soulagement avait fait aussitôt place... à de la jalousie. Visiblement le nouveau venu et l'ange noir se connaissaient, se connaissaient beaucoup.
Cela se voyait. Cela se respirait dans l'air.
Rob était depuis toujours comme ça. Quand il sentait que quelque chose devait lui appartenir, il ne pensait à rien d'autre avant de la posséder. Il avait agi ainsi pour Juno, ainsi que pour toutes celles avant elle. C'était comme ça, il ne se contrôlait pas.
Il s'était même battu une fois pour ça. Lui qui n'était pas bien costaud, malingre même, avait subi une sacrée rouste. Mais qu'importe, il avait réussi à tourner cela à son avantage. Le costaud l'avait cru estourbi et Rob l'avait surpris en le frappant dans le dos. Ce jour-là, il avait ressenti pour la première fois une envie de meurtre s'insinuer sous ses veines, sous sa peau.
Et le beau gosse n'avait été sauvé que par l'intervention de ses copains. Rob avait finalement pris une nouvelle volée. Mais la fille, il l'avait possédée tout de même !! Il était comme ça Rob.

A cet instant, il ressentait la même chose pour l'ange noir. Il voulait, il allait la posséder. D'une manière ou d'une autre. Et personne n'allait l'en empêcher.

" Rob, qu'est ce qu'on fait là ?"
La voix de Juno était faible, un miaulement dans le capharnaüm de ses pensées. Rob l'ignora. Il ne pouvait plus la blairer, Juno. Rien que de sentir sa présence dans son dos, ça le mettait en rage. Sans prendre le temps de lui répondre, il décida que sitôt en sécurité dans Fort Hood, il l'abandonnerait au plus vite. Il n'avait plus besoin de cette chiffe molle.
Tout ce qui l'importait désormais, c'était l'ange noir.

"Tu es finalement revenue...
La voix de l'afro-américain était comme lui. Forte, puissante, colossale. Il gardait les bras croisés mais son visage rayonnait désormais.
- Je te l'avais promis. Je tiens toujours mes paroles. Paul.
- Je constate cela en effet. Je suis content de te voir Kat.
- Moi aussi Paul.
- Tu as trouvé ce que tu cherchais.
- Oui c'est fait. Maintenant, je suis disposée à me rendre."
Un bruit assourdissant résonna tout à coup, recouvrant la suite de la conversation. Le char venait de démarrer. Le dénommé Paul fit un signe de tête approbatif et décroisa les bras comme pour ouvrir leur passage. Le Sherman commença à reculer doucement, offrant un passage étroit aux deux motos.

L'ange noir qui avait retiré son casque pour parler, sourit à Rob et à Juno tout en retournant vers la Harley.
Et tandis que s'offrait au regard de Rob et de Junon, la silhouette impressionnante de l'ancien bastion, elle leur dit d'une voix lasse :
" Bienvenue à la maison !"
Et sous les yeux méfiants de l'homme dans la tourelle, les deux motos pénétrèrent dans le saint des saints.

***

A l'approche des deux motos émergèrent les survivants. C'étaient des hommes entre l’indifférence et la résignation, mais à l'air malgré tout paisible. Tous avaient trouvé refuge au cœur de cette base abandonnée, gardiens de cette étrange friche militaire dévorée par la rouille et la poussière. Ils étaient comme des sentinelles du désastre, ultimes témoins d’une époque flamboyante, révolue guettant l'arrivée des deux étrangers.
La cour du bastion bitumée était envahie de leurs pauvres tentes de toile vert kaki et d'aménagements sommaires pour se protéger des ardeurs du soleil.
Autant de vestiges de ce qui fut un jour la civilisation et qui ne demeurait désormais qu'un rêve lointain.

Dans ce coin perdu des États-Unis où le temps semblait s’être arrêté, ces centaines de survivants veillaient, mélancoliques sur l’agonie de ce mirage. Il ne restait plus que des ruines et les derniers témoins, désenchantés, n’en finissaient pas d’accompagner l’agonie de cette utopie. L'humanité se mourait peu à peu dans leurs âmes meurtries.
Autour du bastion, quelques hangars déserts envahis d’herbes folles dressaient leur carcasse éventrée vers le ciel tout en s'effaçant peu à peu, ensevelies sous la poussière ocre ou rongées par l’extrême acidité de l’air.
Perdue au milieu du désert, et lentement dévorée par lui, cette ville-fantôme, Fort Hood semblait survivre au ralenti dans la chaleur étouffante, dans une indolence toute désespérante.

Ici c'était comme si rien n’avait jamais vraiment changé depuis des décades, si ce n’était le lourd silence de bout du monde et cette immobilité des hommes, comme pétrifiés dans le secret du désert.
L’ombre de la mort, en somme, sur la base engourdie.

***

Juno avala une nouvelle gorgée de thé. Elle ignorait que boire chaud soulageait la soif. Elle l'ignorait mais elle n'était pas prête de l'oublier. Jamais elle n'avait ressenti une telle soif de sa courte vie. Fuir comme ça avec Rob n'avait pas été une si bonne idée que ça finalement, surtout sans à boire ni à manger. Et ce n'était pas les rares boissons trouvées sur la route qui l'avait rassasiée.
Elle buvait de grandes gorgées de la boisson sucrée, ignorant la douce chaleur qui pénétrait son corps affaibli.
Une femme les avait emmenés, Rob et elle, dans le bastion tandis que l'ange noir parlait avec l'Afro-américain. La femme les avait conduit dans une pièce agréable pourvue de chaises et d'une table en formica. Elle avait une cinquantaine d'années et était très souriante. Mais ses yeux masquaient avec peine l'inquiétude qui avait pris racine en elle.
La femme, sans un mot avait voulu les inspecter tous les deux mais Rob la repoussa d'un geste indélicat du bras. Son regard s'était alors tourné vers Juno qui lui sourit en retour, comme autorisation muette à un examen superficielle.
Il fut effectivement très bref et pour Juno, le diagnostic était sans appel : elle était à deux doigts de la déshydratation. Si l'ange noir ne les avait pas trouvés, elle aurait d'abord souffert de maux de crâne croissant, avant d'éprouver une raideur dans la nuque et les membres. Une paralysie se serait emparée de son corps lentement et Juno aurait incapable d'agir. Il aurait perdu peu à peu ses facultés mentales et son appréciation du réel (ou quelque chose comme ça avait dit la femme) avant de s'évanouir. En général c'était trop tard. Les dommages étaient toujours trop importants à ce niveau là. Et la mort était souvent une délivrance qui tardait à venir.
Juno y avait donc échappé. Grâce à l'ange noir.
Kat. C'était donc son nom. L'Afro-Américain qui les avait accueillis, le dénommé Paul avait l'air de bien la connaître. Juno était même prête à parier qu'il y avait quelque chose entre ces deux-là. Elle en était sûr.
Mais ce n'était pas vraiment une relation amicale. Loin de là.
Leur rapport était de l'ordre hiérarchique, voire haineux. Pour une raison inconnue à première vue.

Dans un coin de la pièce où ils se restauraient, Rob demeurait silencieux. Recroquevillé sur sa chaise, il se rongeait les ongles avec acharnement et semblait être perdu dans ses pensées. Il n'avait pas touché à la boisson fruitée qui fumait devant lui sur la table.
Juno sentait qu'elle le perdait. Elle le savait. Depuis leur fuite de Dallas, il n'y avait plus rien entre deux. C'était comme si ROb ne voulait plus la toucher, lui parler. Il réagissait comme s'il ne pouvait plus la supporter. Juno ne disait : elle gardait tout en elle. Mais elle souffrait. Elle se sentait comme déchirée, partagée entre les émotions qui naissaient dans son coeur et l'amour qu'elle portait pour Rob. Ce type là, elle l'avait dans la peau. Qu'importe ce qu'il pourrait lui faire, elle l'aimerait toujours.
C'était le premier avec qui elle....

La porte s'ouvrit et le dénommé Paul entra dans la pièce, un immense sourire aux lèvres.

***

Paul prit la peine de s'asseoir à la tête et y posa un mug où était inscrit Jésus. Une représentation du Christ sur la croix ornait la porcelaine blanche. La bonne odeur du café se répandit lentement dans la pièce, faisant trembler de plaisir les papilles torturées de Rob.
Paul ne dit rien, laissant les deux jeunes gens le regarder. Lui était ailleurs, son sourire gigantesque ornant toujours son visage taciturne.
La scène paraissait presque irréelle, tant la chape de plomb instauré par ce silence prolongé pesait sur l'esprit de chacun. Puis les yeux de Paul se posèrent sur Rob et Juno. Leurs yeux se croisèrent.
" Bienvenue à vous, mes enfants. Bienvenue à New Hope."
Le regard de Rob était resté fixé sur le mug de café. Il souffrait de ne pas en avoir, le thé ce n'était pas son truc.
Quant à Juno, elle était mal à l'aise. L'homme, bien qu'assis remplissait totalement l'espace, non seulement par sa carrure, mais aussi par son charisme. Quelque chose d'indicible émanait, quelque chose de fort.
Elle s'approcha de la table et posa à son tour sa tasse. Elle avait presque bu le contenu et effectivement sa soif s'était calmée. Elle se sentait mieux, même si sa vessie déjà pleine, commençait à la titiller.
Paul la regarda et lui adressa son plus sourire, ses yeux pétillants étaient presque tentateurs. Oui, de cet homme émanait une force tranquille, une sérénité à toute épreuve. Et il était beau. Ses traits, pourtant pas très fins étaient harmonieux et ses yeux clairs comme l'azur brillaient tout en la regardant. Juno était sous le charme.
Rob était plutôt rétif lui, insensible à ce charme naturel que l'homme dégageait mais aussi parce qu'il sentait, savait que ce Paul était le chef de la communauté. Indéniablement. Et pour le jeune homme qui méprisait l'autorité de toute sorte, il représentait presque un ennemi.
D'un geste aérien de la main, Paul invita Juno à s'asseoir. Rob lui toujours dans son esprit rebelle se mit à se balancer sur sa chaise avant de poser ses deux pieds sur la table. Comme image de sa contrariété, il savait qu'il n'y avait pas mieux. Combien de prof au lycée avaient pété les plombs quand il rentrait dans la classe et s'asseyait comme ça !! Il s'en amusait d'avance. Mais là, Paul ne dit rien. Ce n'était pas un prof et ils n'étaient pas au lycée. L'homme resta impassible tandis que Juno tirait une chaise et prit place à la table, tout en bourrant un regard noir à Rob.
Paul se redressa et prit une grande inspiration tout en mettant ses mains devant la bouche, puis sa voix de stentor résonna dans la pièce.
" Je m'appelle Paul. Je suis le chef de la communauté, comme vous l'avez sûrement compris.
Sous son t-shirt blanc, ses biceps saillants luisaient à la lumière de l'unique ampoule du plafond. Juno fondait littéralement face cet homme. C'était ... C'était incroyable comme un homme de son âge pouvait être beau. Elle qui n'avait connu que des quarantenaires gras du bide, mal rasé et qui puaient des dessous de bras, comme son beau-père alcoolique. Paul était vraiment une apparition !
Celui-ci, comme s'il devinait ses pensées, lui souria à nouveau, dévoilant ses dents blanches et Juno se sentit rougir. Elle espéra alors qu'elle réussit à contenir le sang qui montait dans ses joues.
Paul poursuivit :
- Vous êtes ici dans un sanctuaire. Nous acceptons tous ceux qui souhaitent vivre en harmonie parmi nous. Mais pour cela, il y a un minimum de règles à respecter. Je pense que vous le comprenez.
Cette fois-ci, son regard s'éloigna de Juno qui en était encore à espérer qu'elle ne rougissait pas à Rob qui faisait celui qui n'écoutait pas, mais qui en fait était très attentif. Les deux pieds sur la table, se balançant nonchalamment, et rongeant l'ongle de son pouce, il était vraiment TRES attentif.
- Je vous ferai un résumé de ces règles plus tard. En attendant, je vais vous emmener dans vos quartiers. Il faudra accepter de partager vos chambres. New Hope n'est pas un hôtel 4 étoiles. Il va falloir aussi travailler. La survie maintenant c'est en communauté, tous ensemble sous le regard du Seigneur,
Rob sourit au mot seigneur. "Encore un croyant", se dit-il. Il cessa de ronger son ongle et se redressa posant cette fois-ci bruyamment les deux coudes sur la table et dévoilant quelques-uns des pin's qui ornaient sa veste. Il était sûr que le dénommé Paul ne manquerait pas d'apercevoir les différents pentacles et autres signes démoniaques. Ah il aimait bien les titiller les gens comme lui.
Mais Paul ne dit rien, se leva lentement et invita les deux jeunes gens à le suivre. Il frappa à la porte qui s'était refermée derrière et un homme leur ouvrit. Juno remarqua qu'il tenait une arme à feu dans la main et semblait inquiet.
- C'est bon, John, on peut les laisser. Ils sont bien.
Rob gloussa intérieurement tandis que Juno totalement surprise par cette phrase ne comprenait rien. Ils sont bien. Bien en quoi ?
- Je les emmène dans leur chambre ?
- Non, je m'en occupe moi-même. Merci John.
- Bien mon Révérend."

***

Le bastion avait beau dater de près d'un siècle, il disposait de toutes les commodités les plus récentes. Vu sa situation géographique, en plein milieu des plaines du Texas, la base se devait d'être autonome au niveau énergétique et pour la gestion de l'eau. Seul l'absence d'entretien régulier en avait altéré le bon fonctionnement. Quelques panneaux voltaïques permettaient l'accumulation d'électricité et un puits très profond fournissait l'apport en l'eau dans la base. Il fallait juste savoir économiser.
Fort Hood avait un des nombreux gaspillages militaire de l'après guerre. Les hectares aménagés régnaient dans le désert, mais avaient été abandonnés. Tout comme les structures. Un gouffre de plusieurs millions de dollars.
Seul le bastion avait servi au cours des dernières années. L'armée s'en était servi pour des réunions d'état-major. C'était en quelque sorte la vitrine de ce qu'elle avait été un jour. Et qu'elle n'était plus.
Les États-Unis n'étaient plus le géant qu'ils avaient pu être quelques décennies auparavant. Mais l'illusion persistait. Comme un bulle d'oxygène dans ce nouveau monde qui se faisait désormais sans eux.

Les survivants avaient pour la plupart fui les grandes villes toutes proches, Killeen notamment mais aussi Austin. Piégés sur l'interstate, beaucoup avait préféré abandonner leur véhicule et s'engager dans les voies secondaires et suivre leur instinct.
D'autres choisirent d'attendre dans leur voiture. La Garde Nationale allait les aider, comme le répétaient les messages radios réguliers. Ce fut une erreur et leur véhicule devint leur tombeau, piégés dans ces carcasses de métal offrant leurs propriétaires à la horde qui déferla quelques heures plus tard.
A la place de l'aide tant espérée.

Pour tous ceux qui avaient choisi la fuite dans le désert, la mort aurait dû être au rendez-vous si l'espoir n'avait pas pris la forme d'un colosse noir. Un homme au regard bleu azur dont la voix de stentor résonnait dans les oreilles comme dans les âmes : Le révérend Paul Litten.

Comme tous, il avait choisi de quitter Killeen, obéissant ainsi aux directives de la Garde Nationale. Il avait jeté un dernier regard taciturne à son église avant de monter dans sa vieille guimbarde. Une Ford Mkl. Jamais il ne la croyait capable de résister à un voyage dans le désert. Rouler jusqu'à Dallas semblait insurmontable pour un aussi vieux tacot.
Il l'avait pourtant fait. Sa place était d'accompagner ses paroissiens, il leur avait promis lors de son dernier sermon.
Le monde devenait fou mais lui, Paul Litten, serait toujours présent pour eux.
Et puis il y avait eu cet embouteillage. Ce ralentissement énorme sur l'interstate. Que s'était-il passé ? Il l'ignorait. Mais le flot de voitures s'étaient figé sur le bitume en un instant. Et n'était jamais reparti.
Des heures durant, il avait le témoin du chaos naissant. Les esprits s'échauffant, il avait su trouver les mots pour rassurer, calmer les tensions et permettre à tous de trouver l'apaisement. Mais au fond de lui, il savait. Il avait toujours su. Son destin n'était pas d'aller à Dallas. Plus maintenant.
Il sentit alors qu'il devait partir, fuir au plus vite. Gagner un refuge en plein désert, sa Terre Promise et guider ceux qui le méritaient, tel Moïse qui sauva le peuple hébreu.
Si la foi de Paul Litten accorda ce sentiment à la voix divine, d'autres diront plus tard que c'était sûrement l'effet du soleil ajouté à un stress important qui lui donnèrent la vision.
Néanmoins, lui aussi dut traverser sa mer rouge. Les plaines désertiques du Texas.
Subitement il était monté sur le toit de sa Ford Mkl et avait pris la parole entre ses mains utilisées comme porte-voix. Son discours fut bref et éloquent. Son plus beau sermon, motivé par sa vision divine.
Et il était parti à pied quittant à jamais l'interstate. Sans un regard en arrière.
Bientôt suivi par une foule d'une centaine d'âmes reconnaissante.

***

La lumière avait guidé le révérend et la foule qui le suivaient jusqu'à Fort Hood. La base était abandonnée depuis des jours. La Garde Nationale l'avait quitté suite aux premières manifestations de zombies dans l'état du Texas. Dans l'incapacité de stopper les hordes croissantes, les ordres avaient été de se retrancher dans les villes, Dallas en l’occurrence, et de s'occuper de protéger les civils qui s'y amassaient. Sans se douter qu'ils allaient à la rencontre de leur funeste destin.
Dallas, tout comme les grandes agglomérations où se réfugiaient tous ceux qui le pouvaient encore, agit comme un véritable aimant à zombie. C'était comme si tous ces esprits décérébrés ressentaient la présence de toute cette viande fraîche et à travers tout l'état ces âmes perdues, ces corps décrépis entamèrent une effroyable marche, un voyage de plusieurs de kilomètres à travers le Texas pour satisfaire leur monstrueuse Faim.

Ce fut sûrement pour cette raison que la colonne de réfugiés menée par le révérend Paul Litten arriva sans peine à Fort Hood, ne croisant aucune de ces créatures du Malin. Ce qui ne fut pas le cas de ceux qui étaient restés sur l'interstate. Tous ceux-là devinrent damnés à leur tour quand leur destin croisa celui de la marée de morts-vivants.

Le révérend Paul Litten prit l'apparition de Ford Hood à l'horizon comme un don de dieu. La preuve de son existence et de l'aide qu'IL accordait à ceux qui croyaient en son Nom. Cela renforça son influence sur la foule qui l'avait suivi.

Parmi tous les survivants, la compétence de certains permirent de pénétrer sans trop de peine dans la base abandonnée. Les alarmes pouvaient hurler. Personne n'était présent pour défendre Fort Hood de leur intrusion. Et ce qui était auparavant qu'une base abandonnée, un gouffre financier pour l'état, était devenu le dernier espoir d'une poignée de survivants.

Une semaine. Il fallut une semaine pour cette petite centaine de personnes pour s'installer durablement dans le bastion de Fort Hood. Une semaine durant laquelle leur capacité à survivre et leur force d'âme furent mis à l'épreuve quand les premiers zombies provenant de la ville de Killeen toute proche déferlèrent sur eux. Menés par le révérend, il surent trouver les moyens de les repousser plusieurs nuits d'affilée avant de cloisonner pour de bon les accès à la base.
Une semaine. Sept jours pour créer leur monde. Tout comme l'avait fait Dieu.
L'emprise de Paul Litten s'en trouva encore renforcé. Ce n'était pas un hasard, cela ne pouvait pas.
Tout en restant à sa place, le révérend sut alors qu'il avait trouvé sa voie.

***

L'ange noir, autrement dit Kat, n'appartenait pas à la première vague de réfugiés. Elle était arrivée quatre jours plus tard. Quatre jours durant lesquels les survivants avaient eu le temps de créer une certaine osmose entre tous les membres de la communauté, nourris par la ferveur du révérend Litten. Pour cela, et seulement pour cela, elle demeura alors une étrangère.
Kat n'accordait que peu de crédit aux sermons du révérend, préférant la compagnie des belles carrosseries et le parfum de l'huile chaude.
La jeune femme s'isolait des heures durant pour aller dans les ateliers de mécanique abandonnés et oeuvrer sur des moteurs inactifs. C'était d'ailleurs par ses bons soins que le tank Sherman avait pu être remis en état de marche. Même si ses capacités demeuraient limitées.

kat était, ce qu'on appelle vulgairement, une grande gueule. Elle l'ouvrait beaucoup trop là où d'autres préféraient se taire ou maugréer en silence. Elle parlait souvent à tort et à travers, sans réfléchir, se laissant déborder par son impulsivité qui prenait alors les commandes de ses pensées.
Elle était comme ça Kat. Un vrai ange déchu.

Physiquement, elle tranchait littéralement par rapport aux autres femmes du camp. Là où celles-ci arboraient leurs atours féminins ou maternels avec fierté, Kat, elle, exhibait plutôt sa musculature peu commune. Pour une raison ignorée de tous, kat aimait montrer ses muscles saillants sous son débardeur, tel un homme débordant de testostérones. Elle agissait comme un homme, dévoilant biceps et tatouages primitifs. Elle s'exprimait comme un homme.
Elle ne se laissait pas faire, comme un homme.
Certains célibataires, un peu macho sur les bords furent d'abord tentés par la sculpturale jeune femme. Elle était si différente, si proche d'eux finalement. Sa coupe de cheveux, souvent attachés en catogan, renforçait ce sentiment. Ils ne furent pas déçus. Ils furent purement et simplement renvoyés. Kat n'était pas le genre de femme intéressée par des tels Don Juan. Et elle resta seule, cataloguée.
La communauté, isolée, mais en même temps cloisonnée sur elle-même, ne s'intéressa alors plus à elle. Pour l'esprit puritaniste qui se mit à régner dans la collectivité pourtant très ouverte, la jeune femme devint une véritable extra-terrestre. La marque de la corruption de cette société qui avait conduit à la fin du monde annoncée. Un suppôt du Malin. Une lesbienne.
Mais s'ils ignoraient tout d'elle.
Kat s'en moqua, préférant rire de la situation. De toutes façons, elle n'allait pas rester là bien longtemps...

Étrangement, seul le révérend Litten semblait l'apprécier. Quelque chose entre eux deux les liait, comme l'avait si bien décelé Rob à son arrivée. Quelque chose d'indicible, mais de fort, plus fort que l'amitié ou la fraternité. Le genre de lien qui se crée dans l'adversité face à la mort.

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