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Récit : « Le jeu des RPistes, RP de Sengriff. »

SommaireChapitre 1

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Chapitre 1 : Une mort impossible
Puis je récupère mes perceptions une par une. La proprioception est la première à apparaître, et je quitte mon statut au demeurant fort confortable de spectre pour la lourdeur de mes membres inconfortables, pour ce sac informe de chairs, de glandes et d'humeurs qu'est mon corps. La nociception ne tarde pas à la suivre, faisant irradier de mon aine une étoile de souffrance ; ma gorge asséchée éructe un grognement. Puis peu à peu, mes cinq sens conventionnels me reviennent, l'un après l'autre, en plus ou moins bon état. D'abord la vision — un maigre plafond — puis toucher — le plancher sous mon dos — suivi de près par un goût pregnant de sang et une odeur tout aussi tenace de pourriture. Quand à l'ouïe, seuls les craquements du bois me prouvent que je ne suis pas sourd. Au-delà, je ne suis environné que par un silence tenace et total.

Je m'aperçois soudainement que mes doigts sont coincés sous une planche. La douleur est faible par rapport à celle qui me transperce les cuisses, mais étrangement, c'est elle qui attire mon attention en premier. Quand je soulève la latte d'une main engourdie, mon itinéraire durant ces derniers jours me revient soudainement. Alors que j'en prends à nouveau conscience, une série de nouvelles informations se connectent péniblement dans mon cerveau endormi. Paniqué, je dénude mes jambes pour observer mes cuisses. Je remarque que les trois ganglions boursouflés qui déformaient ma peau se sont spontanément percés. En auscultant les plaies, je remarque que rien ne donne lieu de s'inquiéter. Pas d'abcès en formation ; pas de signes d'infection ; pas de pus. J'émets entre mes lèvres gercées un vague murmure de reconnaissance — envers qui ? Je ne le sais pas — avant de penser qu'il aurait été absurde de survivre à la peste et au delirum tremens pour mourir ensuite d'une banale infection.

En pensant à ces jours d'agonie dans mon lit, je frémis. Je tâte un instant ma gorge ; mais l'irritation légère de la soif me paraît peu de chose par rapport au véritable asséchement que j'ai vécu pendant ces quelques jours. Je me souviens avoir hurlé, pleuré, et enfin supplié pour une seule goutte d'alcool. Mon esprit embrouillé mêlait les réactions de mon corps au manque à celles dues à la maladie. Je me souviens de ces serpents noirs, qui se sont glissés sous mes draps pour mordre mes cuisses — en fait, l'atroce douleur de ma peau déchirée par mon propre système immunitaire. Je me souviens de ces sauterelles luisantes, irradiant de vert électrique, que je crachais dans des expectorations douloureuses — en réalité, du sang, qui macule à présent les lattes de bois. Et je me rends compte à quel point je suis miraculé. Atteint d'un cas que l'épidémiologie ne prévient pas, d'un étrange mélange d'atteintes pulmonaires et buboniques, tout en étant dans une faiblesse particulière à cause de mon sevrage sauvage, j'ai survécu.

Combien ont-ils été à en faire de même ? Avant que la Mort Noire ne me fauche en pleine élan, j'avais tenté de sauver ce qui pouvaient l'être. Notre hôpital improvisé avait toujours suffi auparavant, envers et contre tout. Notre communauté comprenait un petit demi-millier d'habitants, isolés dans des conditions de santé plus dures que jamais. J'ai effectué des opérations folles, dans des conditions d'asepsie déplorables, mais j'ai toujours réussi à me maintenir à flot. Collapsothérapie sur un tuberculeux en plein hiver. Il a survécu. Trépanation pour relâcher la pression et évacuer le sang chez un homme atteint d'une commotion cérébrale lourde. Aucune séquelle. Introduction d'une aiguille ultra-fine dans l'oeil d'un homme gêné par des cristaux. Il a retrouvé la vue. J'ai affronté des épidémies, su traiter depuis neuf ans les conséquences récurrentes de la Grande Terreur ; pourtant, la peste a tout balayé. Nos corps aux défenses immunitaires laxistes ont été balayées par la vigueur du bacille. Bonjour monsieur, des bubons ? Très bien. Nous allons inciser ça. Est-ce que ça va vous guérir ? Non, aucune chance, vraiment. Il y a bien des cas de rémission spontanée, mais ils sont extrêmement rares...

Combien sont-ils aujourd'hui à être encore debout ? Quand j'ai commencé à cracher du sang, il y avait déjà une cinquantaine de pestiférés, équitablement répartis entre morts et morts en surcis. Deux jours plus tard, quand mon état de santé était devenu trop mauvais pour continuer, ce nombre avait doublé. Personne n'a bien sûr pu appliquer le seul vrai remède contre la peste — cito, longe, tarde — à cause de ce infeste ce désert ; je doute que plus d'un citoyen sur cinq ait pu échapper à la contamination, et à la mort presque inéluctable qui en découle. Mes viscères sont nouées. La peste m'a épargné, et sa poigne implacable m'a délivré de l'alcool qui empoisonnait mes jours. Mais je me sens plus mal que jamais. La ville qui m'accueille depuis plus de huit ans, pour laquelle je me suis battu, n'est plus qu'un tombeau à ciel ouvert. Tous mes actes ici — mettre en place un filtrage drastique des conserves afin d'éliminer celles que le botulisme ou le plomb avaient gâté, former des jeunes comme assistants — toutes ces personnes haïes ou aimées, tout cela a été réduit en poussière.

Que faire ?

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